Lors du sommet du G7, le Canada doit défendre le droit humanitaire international
Du 15 au 17 juin prochain, le Canada accueillera le Sommet des dirigeants du G7 à Kananaskis, en Alberta. Pour les dirigeants et les dirigeantes des pays du G7, il s’agit de la première rencontre en 2025. Ce sommet se déroule à une période où le monde connaît de profonds bouleversements à l’échelle internationale. De Gaza au Soudan en passant par la République démocratique du Congo et au-delà, le monde est aujourd’hui confronté à de multiples conflits et à des crises humanitaires de grande ampleur.
Le sommet représente une occasion cruciale pour le Canada. En tant que président en exercice du G7 et hôte de la rencontre, il devra tirer profit de l’événement pour faire pression pour que des mesures significatives soient prises à l’égard de ces crises. Le Canada doit notamment saisir cette occasion pour défendre les principes d’humanité que tous les gouvernements du G7 se sont précédemment engagés à respecter.
Défendre le droit international humanitaire
Cet engagement s’inscrit dans le cadre d’un ordre mondial qui, comme le droit international humanitaire (DIH), accorde la priorité à la protection des personnes civiles, à ceux et celles qui leur prêtent assistance dans les zones de guerre, et à la prévention des souffrances causées par les urgences humanitaires.
Le DIH regroupe notamment l’ensemble des règles et normes internationales qui obligent les puissances occupantes, les parties aux conflits et tous les États parties prenantes à protéger la vie des personnes civiles, à faciliter l’accès à une assistance humanitaire indépendante et à garantir, dans les zones de guerre, l’accès aux besoins essentiels. Ces besoins comprennent l’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux.
Le Canada doit donc veiller à ce que le communiqué commun publié au terme de ce sommet du G7 comprenne un engagement réaffirmé en faveur des principes du droit international humanitaire (DIH). Le communiqué doit en outre exiger que les auteurs de violations du DIH rendent des comptes.L’urgence ne pourrait être plus évidente qu’elle ne l’est actuellement. D’ores et déjà, l’accès à l’assistance humanitaire essentielle pour les personnes touchées par des conflits, des déplacements, des catastrophes et des épidémies a été radicalement réduit à travers le monde. Cela est dû, en grande partie, aux coupes massives opérées dans les budgets d’assistance par de nombreux gouvernements dont les dirigeants et dirigeantes participeront au G7. L’impact de ces réductions est toutefois brutalement exacerbé, dans de nombreuses zones de conflit, par l’obstruction délibérée de l’assistance encore disponible et par la volonté choquante des parties belligérantes, y compris des autorités étatiques, de s’en prendre aux travailleurs et travailleuses humanitaires et aux infrastructures essentielles, comme les hôpitaux.
Gaza : assurer l’accès à une assistance essentielle
Certains des exemples de ces violations, parmi les plus marquants, ont lieu à Gaza et en Israël. Du début du mois de mars jusqu’au 18 mai, les autorités israéliennes ont empêché l’entrée, dans la bande de Gaza, de tout matériel d’aide humanitaire. Cela comprend des biens essentiels, comme de la nourriture, du carburant et des fournitures médicales. Bien que certains camions transportant des fournitures essentielles aient depuis été autorisés à entrer dans la bande de Gaza, ce filet d’assistance ne représente par ailleurs qu’une fraction de ce qui est désespérément nécessaire pour répondre aux besoins de base des gens.
L’absence d’assistance humanitaire essentielle a poussé la quasi-totalité des 2,1 millions de personnes qui vivent à Gaza au bord de la famine. Le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire des Nations Unies a récemment indiqué que la famine était désormais de plus en plus probable sur l’ensemble du territoire. Qui plus est, la pénurie de carburant pour les générateurs compromettra entre autres le fonctionnement des usines de traitement de l’eau. Cela privera toujours davantage les gens de Gaza d’un accès à l’eau potable et accélérera la propagation de certaines maladies.
Médecins Sans Frontières (MSF) gère trois hôpitaux et six centres de santé primaire à Gaza. Si le carburant n’entre pas dans le territoire, nous risquons de ne plus pouvoir faire fonctionner les générateurs qui alimentent ces installations, ce qui nous empêcherait de fournir des soins médicaux essentiels. Nos équipes sont elles aussi confrontées à une grave pénurie de fournitures médicales essentielles, dont des analgésiques. Dans ce contexte, des gens atteints de maladies ou de blessures potentiellement mortelles, dont un grand nombre d’enfants, sont contraints d’endurer d’atroces souffrances lorsque certaines procédures essentielles, comme des changements de pansements en cas de brûlures graves, doivent être réalisées sans les analgésiques nécessaires.
Ce blocus permanent équivaut à une punition collective infligée à une population entière, ce qui constitue une violation flagrante du droit international humanitaire. Le projet de registre des ONG internationales fournissant une assistance aux Palestiniens et Palestiniennes est une autre forme de blocus utilisée par les autorités israéliennes. Loin de faciliter une assistance humanitaire indépendante, comme l’exige le droit international humanitaire, il pourrait l’entraver, voire la contrôler. Il pourrait en outre empêcher des organismes comme le nôtre de témoigner de ce qui arrive aux Palestiniens et aux Palestiniennes, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. Dans un conflit qui a également vu mourir plus de 400 travailleurs ou travailleuses humanitaires à l’intérieur de Gaza (dont 11 membres du personnel de MSF), les affirmations des autorités israéliennes selon lesquelles le droit international est respecté sont fallacieuses.
Soudan : assurer le respect du droit humanitaire international en zone de conflit
Au Soudan, les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) se battent, depuis avril 2023, pour le contrôle du pays. Chaque partie a utilisé et dirigé certaines de ses violences les plus féroces comme tactique de guerre délibérée contre les personnes civiles, ce qui constitue une violation flagrante du DIH, tant dans son énoncé que dans son esprit. Elles ont notamment mené des attaques brutales contre des camps de personnes déplacées abritant des femmes et des enfants déjà dénutris ou empêché délibérément l’aide humanitaire d’atteindre les personnes dans le besoin. Alors que les FAS et les FSR prétendent toutes deux être le gouvernement en exercice du Soudan, ni l’une ni l’autre ne respectent les obligations de l’État en vertu du droit international humanitaire. Cela vaut également pour les gouvernements des autres États qui soutiennent chacune des parties et leur fournissent les moyens et le matériel nécessaires pour perpétrer leurs atrocités.
La situation est similaire dans d’autres zones de conflit. De la République démocratique du Congo au Soudan du Sud en passant par le Myanmar, les personnes civiles, les travailleurs et les travailleuses humanitaires et les infrastructures essentielles à la survie font l’objet d’attaques. Toutes sont interdites par le consensus mondial et les conventions qui constituent le droit international humanitaire et qui assurent la cohésion du système international multilatéral.
Ce système ne fonctionne que si non seulement les pays en respectent les règles, mais veillent aussi à ce qu’il y ait des conséquences pour ceux qui ne le font pas. À Gaza, au Soudan et ailleurs dans le monde, des violations des principes humanitaires fondamentaux et du droit international humanitaire sont actuellement commises ouvertement, sans honte ni conséquences pour les auteurs de ces violations. La réaction de la majeure partie de la communauté internationale a été le plus souvent tiède et n’a offert aucune mesure significative de responsabilisation.
Le Canada doit miser sur son leadership
Le sommet du G7 représente une occasion, minime, mais néanmoins importante, de s’opposer à cette incapacité à défendre les principes fondamentaux et le droit international. Ce groupe qui représente certaines des plus grandes économies et des plus puissantes démocraties du monde doit publier une déclaration qui condamne ces violations du droit international humanitaire. Si ce groupe ne peut pas défendre les principes humanitaires et s’engager à tenir les auteurs responsables de leurs actes, alors qu’est-ce qui empêchera les parties belligérantes actuelles et futures de continuer à cibler et à attaquer en toute impunité des personnes civiles sans défense et des fournisseurs d’assistance? Cela reviendrait à rejeter les valeurs, les règles et les principes qui ont permis, depuis des décennies, de sauver des vies et d’alléger les souffrances dans le cadre du système humanitaire mondial. Cet ordre mondial que le G7 et d’autres gouvernements prétendent justement défendre.
Le Canada doit donc saisir cette occasion pour agir. En tant qu’hôte et président du sommet, le Canada a la responsabilité de coordonner la rencontre, avec tous ses alliés du G7, pour s’assurer qu’un consensus émerge autour de l’ordre du jour et des résultats de cette réunion. Il devra profiter de cette occasion pour pousser les dirigeants et les dirigeantes qui prennent place autour de la table à déclarer sans équivoque que le DIH est important, et qu’ils et elles ne manqueront pas de le faire respecter et de le défendre.
Dans la foulée des élections fédérales qui se sont tenues en avril dernier, MSF a adressé des recommandations aux partis politiques canadiens. Nous avons entre autres souligné que le Canada devait utiliser les outils politiques et diplomatiques à sa disposition pour défendre les personnes touchées par les conflits et les crises, et le DIH en particulier. Pour le nouveau gouvernement du Canada, le prochain sommet du G7 constitue une importante première occasion de démontrer qu’il est guidé non seulement par des impératifs transactionnels, mais aussi par des principes fondamentaux et par un engagement en faveur d’un ordre mondial fondé sur des règles qui protège la vie des personnes civiles et l’espace humanitaire dans lequel leurs besoins fondamentaux peuvent être satisfaits.