Diagnostiquer le problème d’accès : le Canada peut faire davantage pour garantir l’accès mondial à des outils de diagnostic essentiels
Avant de pouvoir recevoir le bon traitement, il faut un bon diagnostic. Malgré son importance essentielle, l’accès aux outils de diagnostic n’a jamais attiré autant d’attention que l’accès aux médicaments. Comme pour les médicaments, le 21e siècle a été marqué par des avancées majeures dans le domaine des technologies de diagnostic. Malheureusement, l’abordabilité et l’accessibilité n’ont pas suivi cette évolution, ce qui signifie que même les diagnostics bien adaptés à une utilisation dans des milieux éloignés ou à ressources limitées sont souvent indisponibles là où ils sont le plus nécessaires.
Un outil de diagnostic important qui reste largement inaccessible est la série de tests GeneXpert, vendue par le fabricant de diagnostics Cepheid et sa société mère Danaher. Le test GeneXpert le plus connu est celui qui permet de diagnostiquer la tuberculose, mais il en existe également pour d’autres maladies, notamment le VIH, la COVID-19, l’hépatite C et la variole. Le prix de ces tests les rend malheureusement inabordables dans de nombreux endroits où ils auraient le plus d’impact.
Les tests GeneXpert sont vendus entre 8 et 20 $ US dans les pays à faible revenu, ce qui permet de dégager des marges bénéficiaires allant jusqu’à 400 % (le prix et la marge bénéficiaire sont considérablement plus élevés dans les pays riches comme le Canada). Selon une analyse publiée par Médecins Sans Frontières (MSF), le coût de production, plus une marge bénéficiaire raisonnable, pourrait être atteint avec un prix de 5 $. C’est ce qui a motivé la campagne Time for $5, dans le cadre de laquelle plus de 200 000 sympathisants et sympathisantes ont demandé aux sociétés qui contrôlent les tests GeneXpert de ramener le prix à ce niveau pour les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire (PRFI).
Le Canada peut jouer un rôle significatif dans cette réduction de prix. Le Canada est depuis longtemps l’un des principaux bailleurs de fonds des mécanismes de santé mondiale tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (Fonds mondial) qui est à l’origine d’achats importants de tests de diagnostic. Bien que les besoins excèdent le financement, le Canada a fait preuve d’initiative, notamment lors de la reconstitution des ressources du Fonds mondial en 2022, lorsqu’il a répondu aux appels à augmenter son apport financier de 30 %. Le pays est non seulement un donateur majeur du Fonds mondial, mais il occupe également un siège au sein de son conseil d’administration; il peut utiliser cette double influence pour faire en sorte que les diagnostics soient abordables et accessibles.
Des diagnostics moins chers signifient que les apports financiers comme ceux du Canada ont une plus grande incidence. Mais surtout, ils permettent à un plus grand nombre de personnes d’être diagnostiquées et de recevoir un traitement plus rapidement. Une baisse de prix peut avoir des conséquences considérables. À l’automne 2023, Cepheid et Danaher ont répondu à la campagne Time for $5 en baissant le prix d’un seul test GeneXpert pour la tuberculose à 8 dollars au lieu de 10, ce qui signifie que les dollars dépensés pour ce test permettent d’aller 20 % plus loin. La baisse du prix à 5 dollars, pour tous les tests GeneXpert associés à l’ensemble des maladies, jouera un rôle décisif dans le nombre de tests qui pourront être achetés et de personnes diagnostiquées. La société Danaher s’est également engagée à procéder à une évaluation annuelle indépendante des coûts des tests GeneXpert, mais après presque un an sans mise à jour, la société civile demande que l’audit promis soit réalisé en temps voulu, de manière rigoureuse et transparente.
Bien que le coût ne soit pas un obstacle à l’accès dans les pays riches comme le Canada, les outils permettant un diagnostic rapide dans les régions éloignées, comme dans le Nord, restent importants. Bien entendu, le diagnostic n’est que la première étape vers le traitement et la guérison, et là encore, la recherche du profit nuit à la santé publique; de nombreux médicaments utilisés dans des schémas thérapeutiques plus rapides, plus sûrs et reconnus à l’échelle mondiale ne sont pas commercialisés au Canada parce que les sociétés pharmaceutiques ne considèrent pas que le « marché » est assez grand pour être suffisamment lucratif.
Les questions d’accès sont le symptôme de problèmes sous-jacents dans la manière dont le Canada investit dans la santé, lesquels doivent être diagnostiqués et traités. Il est essentiel non seulement d’investir davantage dans des maladies comme la tuberculose, mais aussi de veiller à ce que les bénéfices de ces investissements profitent aux gens qui en ont besoin. De nombreuses innovations dépendent fortement du financement public pour leur développement; Cepheid a reçu au moins 250 millions $ US de fonds publics pour la recherche et le développement du GeneXpert. Cependant, au Canada comme ailleurs, les bénéfices des produits développés avec des fonds publics reviennent principalement aux entreprises privées. L’outil GeneXpert montre bien qu’il est possible de réaliser des bénéfices raisonnables tout en maintenant des prix abordables. Pour remédier aux situations futures dans lesquelles les fabricants reçoivent des investissements publics pour soutenir leur R-D mais facturent des prix inabordables aux pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure (PRITI), le Canada devrait prendre des mesures proactives dans le cadre des négociations de l’Accord sur les pandémies et à l’échelle nationale pour assortir le financement de la recherche en santé publique de conditions garantissant que les produits qui en résultent sont à la fois abordables et accessibles à tout le monde. Par ricochet, des produits plus abordables signifieront que le financement canadien à l’échelle nationale et à l’étranger sera optimisé. Sauver plus de vies sera un bon rendement du capital investi pour le Canada.