Lettre ouverte aux parlementaires du Canada : Quatre urgences humanitaires qui nécessitent votre attention et une action audacieuse
À vous, parlementaires,
Alors que des quatre coins du pays, vous rentrez tous et toutes à la Chambre des communes pour la prochaine séance du Parlement canadien, à Ottawa, nous nous trouvons à un moment particulièrement trouble à l’échelle internationale. La vie, la sécurité et la dignité de centaines de millions de personnes sont menacées par des conflits, des catastrophes et leur exclusion délibérée aux soins de santé. Les décisions que vous prendrez auront un impact non seulement sur la vie des Canadiens et des Canadiennes, mais aussi sur celle de bien d’autres communautés à travers le monde. Nombreuses sont celles qui seront affectées par les réponses – ou l’absence de réponse – du Canada aux crises humanitaires qui sévissent actuellement.
Médecins Sans Frontières (MSF) fournit des soins médicaux et humanitaires de première ligne aux personnes dans le besoin, un peu partout à travers le monde. À ce titre, nous sommes le témoin direct d’un grand nombre de ces crises humanitaires. Nos équipes s’efforcent de répondre aux besoins urgents des communautés et d’alléger la souffrance des gens. Dans ces contextes, chaque minute compte et l’assistance humanitaire peut faire la différence entre la vie et la mort.
Mais le personnel humanitaire ne peut pas arrêter les guerres. Nous ne pouvons pas, à nous seuls, prévenir les nombreux facteurs qui entraînent des niveaux alarmants de déplacement, de malnutrition et de mortalité que nous constatons dans les endroits où nous travaillons. Nous ne pouvons pas non plus demander des comptes aux responsables de violations du droit humanitaire international ou gérer nous-mêmes des épidémies mondiales qui tuent des millions de personnes et coûtent des milliards. Il s’agit de problèmes politiques, qui exigent des solutions politiques de votre part et de celle de vos collègues qui contrôlent les outils diplomatiques, financiers et autres nécessaires pour répondre directement à ces défis.
Les dirigeants et les dirigeantes politiques du Canada doivent trouver la volonté politique et le courage moral d’agir de manière décisive. Nous vous demandons instamment de contribuer à trouver des solutions significatives aux crises humanitaires d’aujourd’hui et de demain.
Nous souhaitons notamment attirer votre attention sur quatre priorités, des urgences qui nécessitent une action immédiate et audacieuse de la part du Canada lorsque le Parlement reprendra ses travaux, cet automne.
1. Prendre position en faveur de l’humanité et demander un cessez-le-feu immédiat à Gaza
Plus de 11 mois après le début de la guerre à Gaza, des milliers de personnes ont été tuées et le système de santé de Gaza est détruit. Nous avons besoin de vous, en tant que parlementaires, pour continuer à faire pression en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et durable. Nous avons également besoin que vous tiriez parti de tout votre pouvoir diplomatique pour contribuer à garantir un accès sans entrave à l’aide humanitaire. Vous devez agir, afin que les organisations humanitaires comme la nôtre puissent intensifier leurs activités et fournir les soins médicaux dont les gens ont cruellement besoin.
2. Ne pas abandonner les Rohingyas
Il y a sept ans, plus de 700 000 membres de la minorité ethnique rohingya du Myanmar ont été contraints de fuir à travers la frontière du Bangladesh pour échapper à la violence de masse organisée contre leurs communautés. Le Canada a alors joué un rôle de premier plan dans la réponse internationale. Aujourd’hui, plus d’un million de Rohingyas restent piégés au Bangladesh dans des camps de personnes réfugiées surpeuplés et sous-financés. Alors que de nouvelles violences visent à nouveau les membres de cette communauté au Myanmar, le Canada n’a pas renouvelé sa stratégie pour les Rohingyas après son expiration, en mars 2024. Le Canada doit honorer les engagements qu’il a pris à l’égard des Rohingyas et de l’esprit humanitaire, et renouveler immédiatement sa stratégie en la dotant des ressources adéquates.
3. Répondre aux besoins urgents dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), au Soudan et dans d’autres crises humanitaires négligées
En ce moment dans l’est de la RDC, des centaines de milliers de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays en raison d’un violent conflit entre de multiples groupes armés, dont les forces gouvernementales. Ces personnes ont un besoin urgent de nourriture, d’abris, d’eau potable et de protection contre les violences sexuelles.
Parallèlement, plus d’un an après le début du conflit au Soudan, des centaines de milliers de personnes civiles, y compris celles qui ont fui vers les pays voisins du Tchad et du Soudan du Sud, sont confrontées à d’immenses souffrances. Citons notamment la malnutrition, les traumatismes et le manque de soins de santé de base.
En avril, le Canada a fait l’annonce saluée qu’il augmenterait son budget d’aide humanitaire internationale pour 2024-25. Il est urgent que ces fonds soient utilisés pour aider à répondre aux immenses besoins dans des endroits comme la RDC, le Tchad, le Soudan et partout ailleurs où les gens sont contraints de dépendre d’une intervention humanitaire pour assurer leur survie. Il est tout aussi important que le Canada tire parti de son appareil diplomatique, juridique et politique pour s’engager pleinement dans la résolution des problèmes qui alimentent aujourd’hui ces crises humanitaires.
4. Fournir les médicaments et les vaccins dont le monde a besoin pour répondre aux épidémies potentiellement mortelles
Chaque jour, les équipes de MSF répondent à des épidémies de maladies telles que la rougeole, le choléra et la mpox. Trop souvent, nous manquons de vaccins, de traitements et de tests de diagnostic. Alors que le monde se trouve à nouveau confronté à une épidémie croissante de mpox qui pourrait être enrayée par le déploiement d’un vaccin existant, le Canada reste assis sur un stock de doses.
Le Canada peut faire mieux en défendant un accès équitable aux médicaments et aux vaccins dans le cadre des négociations actuelles de l’accord mondial sur les pandémies. De même, le Canada doit revoir la manière dont il finance la recherche et le développement de médicaments et de vaccins essentiels dans ses propres laboratoires de classe mondiale.
En tant que parlementaires, vous devez prendre des mesures décisives pour garantir que l’argent des contribuables soit utilisé pour développer de nouveaux médicaments. Le Canada doit s’assurer que la santé publique soit prioritaire par rapport à la richesse privée. Il doit en outre veiller à ce que des conditions soient attachées au financement public pour garantir que les médicaments et les vaccins développés par le Canada soient abordables et accessibles pour les Canadiens, les Canadiennes et les gens du monde entier. Les médicaments ne devraient pas être un luxe.
MSF reste pleinement engagée à prêter assistance aux personnes, aux patients, patientes et communautés auprès de qui nous travaillons, et à fournir des soins médicaux d’urgence dans les situations de crise où chaque minute compte. En tant que membres du gouvernement canadien, votre réponse compte également. Alors que le Parlement reprend ses travaux, vous avez la responsabilité de travailler ensemble pour prendre des mesures audacieuses et pour trouver des solutions significatives aux crises qui sévissent aujourd’hui et qui menacent pour le futur. Nous vous implorons de placer l’humanité, l’urgence et les soins au centre de vos choix et de vos décisions.
Sincères salutations,
Sana Bég,
Directrice générale, MSF Canada
Jason Nickerson,
Représentant humanitaire pour MSF Canada