Wali Khan, technicien de laboratoire de MSF, dépose un échantillon dans une machine pour une analyse chimique à l’hôpital du siège du district (DHQ) à Chaman, au Pakistan. Wali Khan travaille avec MSF depuis deux ans et, avec un collègue, il est chargé d’effectuer des analyses pour tous les services de l’établissement de MSF du DHQ de Chaman.
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Les investissements du Canada dans la préparation à la pandémie ne tiennent toujours pas compte de l’équité

Le financement de la recherche et du développement (R-D) dans le domaine de la santé devrait être assorti de conditions d’octroi de licences. Cela permettrait de garantir un accès mondial à celles-ci et de s’assurer que les bénéfices de l’investissement public profitent à la santé publique

Cet article a été initialement publié dans Options politiques par Adam R Houston, Matthew Herder et Srinivas Murthy.

Alors que les gouvernements tournent la page de la pandémie de COVID-19, le débat politique se porte vers la prochaine menace.

Qu’il s’agisse du H5N1 – une souche du virus de la grippe qui se propage actuellement parmi le bétail et, dans certains cas, chez l’être humain – ou d’un « agent pathogène X » inconnu, le Canada et d’autres pays allouent des sommes considérables pour anticiper la prochaine épidémie

En théorie, cela pourrait signifier que le Canada sera davantage prêt à faire face à la maladie elle-même. Cela pourrait aussi démontrer qu’il prépare le terrain pour concrétiser enfin la rhétorique de longue date du gouvernement fédéral sur l’importance de l’équité en matière de santé, plutôt que de répéter les échecs bien documentés qui ont résulté des pratiques réelles du Canada lors de la pandémie de COVID-19.

Malheureusement, rien n’indique que le Canada ait pris des mesures, même élémentaires, pour s’assurer que ses nouveaux investissements substantiels dans les outils de préparation à la pandémie porteront leurs fruits en matière d’accès pour les personnes qui en ont le plus besoin.

Par exemple, en mai, le gouvernement fédéral a annoncé un financement de 574 millions de dollars dans le cadre de son concours intégré du Fonds de recherche biomédicale du Canada (FRBC) et du Fonds d’infrastructure de recherche en sciences biologiques (FIRSB).

Cet argent fait partie d’un investissement de 2,2 milliards de dollars d’Ottawa dans la science, les infrastructures, les essais cliniques et les opérations de santé publique liées aux maladies infectieuses. Il est destiné à cinq pôles dans le pays, dirigés par des unités de recherche universitaires et de multiples partenaires du secteur privé, qui travaillent sur une variété de projets.

Ce nouvel investissement de 574 millions de dollars est l’un des plus importants de l’histoire du Canada en matière de financement de la recherche biomédicale. Ce chiffre représente près de la moitié de l’ensemble du budget annuel de subvention des Instituts de recherche en santé du Canada, principal bailleur de fonds de la recherche en santé du pays.

Les travaux menés dans le cadre de ce financement substantiel sont susceptibles de constituer un élément majeur de la science biomédicale canadienne pour les années à venir.

Toutefois, comme l’ont démontré pratiquement toutes les analyses de la réponse à la pandémie mondiale, le principal défaut d’une grande partie de la politique de la COVID-19 a été de traiter l’équité – en particulier l’accès équitable aux vaccins et aux autres outils de santé – comme une réflexion après coup plutôt que comme un principe moteur fondamental.

Le Canada s’est notoirement doté, avec une large marge, le plus grand nombre de doses par habitant dans le monde d’un vaccin initialement rare, mais a en définitive jeté plus de doses qu’il n’en a partagées. Éviter de telles inégalités devrait être une priorité absolue. Cela n’a pas été le cas.

Alors que nous développons notre infrastructure biomédicale pour nous préparer à la prochaine pandémie, nous devons corriger la situation et éviter ces échecs. Cela s’avère essentiel, en particulier si l’on considère les résultats tout aussi médiocres du Canada en matière d’accessibilité aux connaissances issues du financement biomédical lors de l’épidémie de COVID-19. Cette situation a empêché un accès rapide et abordable pour les personnes qui en avaient besoin.

Le financement fédéral de la recherche et du développement dans le domaine de la santé devrait être assorti de conditions d’octroi de licences afin de garantir un accès mondial. Il devrait également veiller à ce que les investissements publics profitent à la santé publique plutôt qu’à des entreprises privées, comme ce fut le cas lors de la pandémie de COVID-19.

Les entreprises privées ont récolté les fruits de leurs efforts

Les entreprises canadiennes qui ont mis au point des technologies permettant de protéger des vies pendant la pandémie, comme AbCellera ou Acuitas, ont été créées au sein d’institutions financées par des fonds publics. Elles ont également reçu, au cours de cette même pandémie, des centaines de millions de dollars de financement de la part du gouvernement fédéral.

Pourtant, ces entreprises n’avaient aucune obligation de garantir, à la population canadienne ou mondiale, un accès public ou même abordable aux outils développés à partir de leurs recherches.

Cette situation a eu pour effet de collectiviser les risques de la R-D, tout en permettant aux entreprises de privatiser les bénéfices financiers.

Les universités canadiennes ne font guère mieux. Selon un récent rapport de l’organisme Universities Allied for Essential Medicines, qui évalue l’accès mondial aux innovations biomédicales des 15 principales universités de recherche du Canada, seules trois d’entre elles ont obtenu la note C ou une note supérieure. Six ont reçu un F.

Prenons l’exemple de la technologie des nanoparticules lipidiques utilisée dans les vaccins à ARNm, mise au point à l’université de Colombie-Britannique avant d’être cédée à des entreprises privées qui ont bénéficié d’un soutien fédéral supplémentaire.

Malgré un investissement important dans cette technologie, ni le gouvernement fédéral ni l’université n’ont conservé de pouvoir sur l’accès aux vaccins à l’échelle nationale ou sur la diffusion à plus grande échelle de cette technologie essentielle, par exemple par le biais d’un transfert vers le centre de transfert de technologie pour les vaccins à ARNm de l’Organisation mondiale de la Santé en Afrique du Sud.

En fin de compte, la technologie des nanoparticules lipidiques développée par le Canada n’a pas été partagée avec ce centre. Le Canada a, quant à lui, fait un don supplémentaire pour soutenir ce centre, payant en fait pour que celui-ci fasse de la rétro-ingénierie sur des technologies qui lui étaient autrement inaccessibles et qui avaient été produites en grande partie grâce à des fonds du gouvernement canadien.

Une approche beaucoup plus simple et efficace aurait consisté à insister sur le fait que le financement de la R-D par le gouvernement était assorti de conditions garantissant que les technologies canadiennes qui en résultent soient partagées avec le reste du monde, en particulier dans des circonstances telles qu’une pandémie.

Malheureusement, rien dans le processus actuel du FRBC et du FIRSB n’indique que la situation sera différente pour les futures technologies développées avec des fonds publics canadiens.

Il s’agit là d’un sujet récurrent dans d’autres investissements publics. C’est notamment le cas pour la stratégie en matière de biofabrication et de sciences de la vie du Canada, les 470 millions de dollars de fonds fédéraux et du gouvernement de l’Ontario accordés au géant pharmaceutique Sanofi pour construire des installations de production de vaccins à Toronto, et le prochain « concours du volet transformation » de 144 millions de dollars (sur six ans), pour ne citer que quelques exemples.  

Ottawa persiste dans ses erreurs

Plutôt que de tirer les leçons sur l’importance d’un accès équitable aux médicaments et aux vaccins, le gouvernement fédéral semble continuer à investir dans un statu quo qui n’a fonctionné ni pour le monde ni pour le Canada.

Ce statu quo consiste à investir des fonds publics dans la recherche et le développement en matière de santé sans s’assurer que les dividendes de cet investissement public sont versés sous forme de gains pour la santé publique plutôt que sous forme de richesse privée.

Plus directement, il implique que des fonds publics soient investis dans la recherche fondamentale au sein d’universités publiques, alors que les résultats de cette recherche sont transférés dans des entreprises privatisées. Il s’agit là d’un objectif explicite d’une grande partie de cette dernière tranche de financement.

En outre, comme le souligne un récent article paru lors de l’annonce du financement du FRBC et du FIRSB, cet investissement de fonds publics contribuera à garantir que la propriété intellectuelle développée dans les institutions publiques aura « beaucoup plus de valeur avant d’être transférée » dans des entreprises privées.

Ce genre d’article ne mentionne cependant pas les conséquences fréquentes de ce scénario dans le monde réel. En effet, en l’absence de toute condition de financement public, le public canadien paie pour des recherches qui lui sont ensuite revendues à des prix exorbitants, qui risquent de n’être ni abordables ni accessibles ailleurs dans le monde.

Ce que devrait faire Ottawa

Le financement fédéral de la R-D dans le domaine de la santé devrait être assorti de conditions d’octroi de licences afin de garantir un accès équitable. De toute évidence, cela permettrait au Canada de protéger ses investissements.

D’autres pays incluent déjà des conditions d’accès abordable. Les États-Unis, premier bailleur de fonds public au monde pour la R-D dans le domaine de la santé, sont en train de renforcer leurs mesures pour s’assurer que les financements publics conduisent à un accès abordable.

Au Canada, les commissions parlementaires chargées d’examiner l’accès mondial à la R-D canadienne en matière de santé – avant et après la conférence sur la COVID-19 – ont toujours recommandé d’assortir ces financements de conditions d’octroi de licences.

Veiller à ce que les innovations canadiennes qui font notre fierté atteignent toutes les personnes qui en ont besoin est également le type d’influence diplomatique qui permettrait au Canada de progresser dans ses aspirations de longue date de leadership en matière de santé mondiale.

Malheureusement, les positions récentes du Canada sur l’accès équitable, notamment lors des négociations en cours sur l’accord international au sujet des pandémies, ont toujours favorisé l’action volontaire de l’industrie pharmaceutique au détriment de mesures plus strictes. Cela fait pourtant plusieurs décennies que cette approche en matière d’accès équitable s’avère un échec.

Toutefois, certains signes indiquent que l’accord final pourrait au moins créer des obligations en matière d’accès aux produits de santé développés à l’aide de fonds publics.

Le Canada a la possibilité de faire preuve de leadership en agissant dès maintenant dans le cadre de la solidarité internationale, plutôt que de se conformer à contrecœur aux obligations internationales émergentes.

Des exigences claires en matière d’accès équitable doivent être incluses dans les accords de financement du FRBC et du FIRSB, puis appliquées au fur et à mesure que ces projets génèrent de nouvelles connaissances et de nouveaux outils. Il devrait en être de même pour les autres initiatives de financement de la R-D dans le domaine de la santé.

Enfin, si le gouvernement fédéral et les universités canadiennes faisaient de l’accès un élément fondamental de la R-D dans le domaine de la santé, ils démontreraient également que les vies sauvées – pendant les pandémies et tous les jours – constituent le meilleur des rendements.