MSF medical mobile teams vaccinating Elderly people and frontline Healthcare workers in a nursing home in Tripoli. © Mohamad Cheblak/MSF
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Si le Canada compte respecter son engagement quant aux dons de vaccins contre la COVID-19, il devra #fournirdespreuves

Par : Adam Houston, chargé du plaidoyer et des politiques médicales, Médecins Sans Frontières (MSF) Canada

Deux étapes importantes ont été franchies le week-end dernier en ce qui a trait à la distribution mondiale du vaccin contre la COVID-19. Premièrement, le mécanisme COVAX a livré sa milliardième dose. Deuxièmement, le nombre de troisièmes doses administrées au Canada (12 246 468 en date de lundi matin) a dépassé le nombre total de doses livrées au COVAX. Le Canada ne peut en effet prouver jusqu’à maintenant la livraison que de 11 897 420 des 200 millions de doses qu’il s’était engagé à donner au COVAX d’ici la fin de 2022. Si le Canada souhaite affirmer de manière crédible qu’il en a livré plus, il devra fournir des preuves.

Bien que le Canada ait été parmi les contributeurs financiers les plus généreux au COVAX, ce qui est louable, il n’en demeure pas moins que ce sont les dons de vaccins qui sont les plus efficaces pour protéger la population. Alors que des pays riches comme le Canada mettent la main sur la plupart des vaccins avant même qu’ils ne franchissent les portes de l’usine, le COVAX, lui, est relégué à la toute fin de la file d’attente des acheteurs qui souhaitent en acquérir. C’est la raison pour laquelle le COVAX a livré moins de la moitié des vaccins qu’il devait livrer en 2021. C’est aussi pourquoi il n’a pas respecté ses engagements à livrer les doses qu’il avait lui-même réservées, contraint de s’appuyer plutôt sur les dons des pays riches placés avant lui dans la file d’attente. Cette situation a gravement entravé l’accès aux vaccins dans les pays où MSF travaille; la République centrafricaine, par exemple, attendait toujours la livraison des doses promises par le COVAX, et ce, des mois après les dates prévues.

LA BONNE CHOSE À FAIRE

Si je vais à la pizzéria avec cinq de mes amis et que chacun de nous commande cinq pizzas, le client juste après nous dans la file d’attente – appelons-le M. COVAX – devra attendre un bon bout de temps avant de recevoir sa commande, même si une fourgonnette pleine de gens affamés l’attend dans le stationnement. Proposer de payer une partie ou la totalité des pizzas que M. COVAX attend ne lui permettra pas d’obtenir ses pizzas plus rapidement. La bonne chose à faire, surtout après que mes copains et moi avons déjà reçu quelques-unes de nos pizzas et sommes en train de manger, serait de changer de place avec M. COVAX dans la file d’attente afin qu’il puisse également obtenir une partie de sa commande. Nous ne parlons pas ici de partager nos propres pizzas avec lui, mais plutôt de lui laisser obtenir sa première portion pendant que nous attendons nos troisièmes et quatrièmes portions. C’est précisément ce que l’OMS a demandé aux pays de faire avec le COVAX; certains pays l’ont fait, dont la Suisse, mais pas le Canada.

Une dose annoncée dans un communiqué de presse vaut assurément beaucoup moins qu’une dose concrètement administrée.

Ce que le Canada a fait, c’est des promesses; mais une dose annoncée dans un communiqué de presse vaut assurément beaucoup moins qu’une dose concrètement administrée. L’engagement du Canada est une combinaison de dons en « nature » et en « espèces » pour l’équivalent de doses supplémentaires. Parmi les doses promises par le Canada, il y a 37,7 millions de doses provenant de ses contrats bilatéraux (17,7 millions d’AstraZeneca, 10 millions de Johnson & Johnson (J&J) et 10 millions de Moderna). À la fin octobre, le Canada a publié des statistiques sur la livraison des doses promises. Celles-ci comprennent les 11 897 420 de doses partagées avec le COVAX : 6 287 900 d’AstraZeneca, 5 609 520 de Moderna et 0 de J&J (en fait, l’engagement pour les doses de J&J pourrait être déficitaire, puisque le Canada a par la suite repris au moins 20 000 de ces doses promises pour sa propre utilisation). À cela s’ajoutent les 762 090 doses supplémentaires d’AstraZeneca partagées bilatéralement à l’extérieur du COVAX et donc en dehors de l’engagement de 200 millions de doses. Certes, les dons de doses du gouvernement canadien soulèvent leur lot de questions, par exemple : pourquoi le Canada n’a-t-il pas partagé davantage de doses plus tôt, au lieu d’en conserver des millions dans des congélateurs tout l’automne dans le contexte où le pays avait signé des contrats supplémentaires pour garantir jusqu’à 100 millions de doses de rappel par an? Mais quoi qu’il en soit, nous connaissons au moins la proportion de ces doses qui ont réellement été partagées : le Canada a livré 6 % des doses qu’il s’était engagé à livrer.

POSER DES QUESTIONS

La deuxième partie de l’engagement du Canada pour les doses attendues soulève aussi des questions. En plus des 37,3 millions de doses provenant de ses contrats bilatéraux, le Canada s’est engagé à ne pas accepter les 13 millions de doses (AstraZeneca, J&J et Novavax) accordées par le COVAX. Soyons clairs : le Canada était dans son plein droit de recevoir ces doses en tant que participant au COVAX, et ce, malgré le fait qu’il contournait simultanément le mécanisme international en signant ses propres ententes bilatérales. En ajoutant ces 13 millions de doses aux 37,7 millions de doses issues des contrats bilatéraux, on obtient 50,7 millions de doses « en nature ». L’état de livraison de ces doses reste toutefois incertain. Le Canada n’a fourni aucune mise à jour à cet égard, et on ne sait pas comment ni même si le Canada sera en mesure de démontrer que ces doses ne sont plus en attente.

La transparence et la reddition de comptes se font encore plus rares que les vaccins eux-mêmes.

Des points d’interrogation demeurent en ce qui a trait aux 149,3 millions de doses restantes que prévoit l’engagement de 200 millions de doses du Canada, qui prend actuellement la forme de soutien financier plutôt que de dons de doses. Rappelons ici qu’un don financier pour acheter des doses exige que des doses soient disponibles à l’achat et, par conséquent, à la livraison. Ici, la transparence et la reddition de comptes se font encore plus rares que les vaccins eux-mêmes. Au cours des dernières semaines, le Canada a affirmé avoir effectivement accordé des fonds permettant l’achat de 87 millions de doses. Ce nombre mérite d’être examiné plus attentivement. Des questions fondamentales restent sans réponse : avant même de se demander quand et où les doses ont été livrées, il faudrait savoir quelles doses et à quel prix. De même, les 87 millions de doses ont-elles été véritablement achetées, ou est-ce que le Canada a simplement versé une somme d’argent liée à un vaccin particulier à un prix particulier, que ce vaccin soit disponible ou non? En fait, le nombre de 87 millions pourrait bien être largement arbitraire; curieusement, il s’agit du même nombre qui se trouve dans l’engagement du Canada au G7, apparemment obtenu en prenant l’engagement cible de 100 millions de doses et en soustrayant les 13 millions de doses du COVAX qui ont été refusées, comme je le mentionnais plus haut. Ce chiffre de 87 millions de doses est d’autant plus arbitraire qu’il semble être constitué des contributions financières préexistantes du Canada au COVAX, plutôt que refléter une somme ciblée destinée à acquérir un nombre spécifique de doses.

BESOIN DE TRANSPARENCE

Tout aussi arbitraire est le fait que ce chiffre de 87 millions de doses est lié à un prix de 545 millions de dollars. La liste des contributions financières du Canada au COVAX comprend en effet 545 millions de dollars « pour soutenir l’approvisionnement, la distribution et la livraison des vaccins contre la COVID-19 ». Cependant, l’ajout des mots après « approvisionnement » sous-entend que nous ne pouvons pas simplement diviser 545 millions de dollars par 87 millions et faire une estimation du coût payé pour le vaccin. En effet, le Canada a indiqué que ces coûts associés – qui s’ajoutent au coût d’achat du vaccin – pourraient s’élever à environ 5 $ par vaccin; si tel est le cas, il est peu probable que les 545 millions de dollars couvrent tous ces éléments.

Le Canada est loin de respecter son engagement envers le COVAX.

La transparence et par conséquent, la reddition de comptes, sont des éléments essentiels de la réponse du Canada à la pandémie mondiale. Elles doivent être établies avant même que des prévisions sur le moment et l’endroit des livraisons de doses soient faites, ce dont les pays bénéficiaires ont désespérément besoin pour planifier efficacement les campagnes de vaccination. Les chiffres actuellement publiés suggèrent que le Canada est loin de respecter son engagement envers le COVAX. Sans contester le fait que le Canada a contribué financièrement pour compenser, on peut à juste titre se demander dans quelle mesure ces contributions se sont concrètement traduites en doses administrées. Alors que certaines informations demeurent inaccessibles au public, il serait extrêmement bien vu que le gouvernement du Canada réfute ou corrige n’importe lequel des chiffres énumérés dans le présent article. Nous vous demandons de nous montrer simplement ce qui a été fait.