Le centre temporaire de soins primaires Al-Mawasi que soutient MSF à Rafah, dans la bande de Gaza, a ouvert ses portes en janvier 2024. ©️ MSF © MSF
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Acheminer des approvisionnements essentiels à Gaza : une tâche impossible

Les autorités israéliennes bloquent, retardent et restreignent l’acheminement de l’assistance humanitaire et des fournitures médicales essentielles

Mari Carmen Viñoles
responsable des programmes d’urgence MSF

Un concentrateur d’oxygène est un dispositif médical qui filtre l’azote présent dans l’air pour fournir aux patients et aux patientes de l’oxygène purifié. Cet appareil peut faire la différence entre la vie et la mort pour les enfants dénutris souffrant d’anémie sévère, pour les personnes blessées ayant perdu beaucoup de sang et pour les nouveau-nés qui éprouvent des difficultés respiratoires.

Bien qu’il soit essentiel à la survie de nombreuses personnes, nous ne savons pas si et quand un concentrateur d’oxygène parviendra enfin à un hôpital de Gaza.

Les autorités israéliennes, qui exercent un contrôle total sur les points d’entrée et de sortie de Gaza, ont refusé à plusieurs reprises les demandes de Médecins Sans Frontières (MSF) d’acheminer du matériel biomédical comme un concentrateur d’oxygène. Lorsqu’une demande est enfin approuvée, les interminables procédures d’inspection à la frontière mènent, depuis six mois de guerre, au même résultat.

Sans ce simple appareil, nos équipes médicales à Gaza voient mourir les gens de causes tout à fait évitables.

Voyons comment fonctionne le processus d’acheminement de l’assistance à Gaza?

À leur arrivée à l’aéroport égyptien d’Al-Arish, les cargaisons de fournitures humanitaires sont chargées dans des camions et acheminées vers les entrepôts du Croissant-Rouge égyptien, où elles sont inspectées par les autorités égyptiennes. Après inspection elles sont rechargées sur des camions et conduites au poste-frontière de Rafah. Cette première étape prend de cinq à dix jours.

À Rafah, tous les camions sont scannés, puis conduits jusqu’à un point de contrôle israélien situé à une cinquantaine de kilomètres au sud, à Nitzana. Là, les fournitures sont déballées, chargées sur des palettes spéciales, puis à nouveau scannées. Le convoi retourne ensuite à Rafah, où les approvisionnements approuvés par les autorités israéliennes sont déchargés des camions égyptiens sur des camions palestiniens pour entrer dans Gaza. Cette étape peut prendre des semaines.

Il s’écoule en moyenne quatre à cinq semaines entre le moment où une cargaison arrive sur le territoire égyptien et celui où elle entre à Gaza. Si un seul article d’une cargaison est rejeté à Nitzana, la cargaison entière est rejetée et renvoyée à Rafah, où le long processus recommence.

Des équipements essentiels

Au début du mois de novembre 2023, nous avons demandé à Israël d’introduire des réfrigérateurs et des congélateurs dans la bande de Gaza. Ceux-ci sont essentiels pour stocker des médicaments et des vaccins qui doivent être conservés à de basses températures. C’est le cas de l’insuline, pour le diabète, de l’ocytocine, pour réduire les hémorragies post-partum, et du suxaméthonium, utilisé en anesthésie pour induire une paralysie musculaire. Ce n’est qu’en avril, soit cinq mois plus tard, que la demande a été approuvée. Si tout se passe bien, les réfrigérateurs et les congélateurs arriveront à Gaza ce mois-ci.

Ce ne sont pas les seuls articles essentiels en attente. Nous attendons toujours l’autorisation de faire entrer des générateurs, des bouteilles d’oxygène, des échographes, des défibrillateurs externes, des solutions intraveineuses de chlorure de sodium, indispensables pour réhydrater les patients et patientes et pour diluer les médicaments… La liste est aussi longue qu’alarmante.

Nous n’avons par ailleurs reçu aucune réponse d’Israël à une demande formulée il y a plusieurs mois pour l’envoi d’équipements essentiels fonctionnant à l’énergie solaire. Il s’agissait notamment de systèmes électriques pour les établissements médicaux, de pompes à eau et de systèmes de désalinisation de l’eau. Les demandes concernant les systèmes de télécommunication par satellite et les véhicules de MSF essentiels pour assurer la sécurité de nos équipes et leur permettre de se déplacer ont également été refusées, restreintes ou sérieusement retardées. 

Des approvisionnements largement insuffisants

Le 3 mars, les autorités israéliennes déclaraient sur X : « Il n’y a pas de limite à la quantité d’assistance humanitaire qui peut entrer dans la bande de Gaza ». Cette affirmation est en contradiction flagrante avec la réalité. Le 26 janvier, puis le 28 mars, la Cour internationale de justice a appelé Israël à prendre « toutes les mesures nécessaires et efficaces » pour assurer la fourniture sans entrave des « services de base et de l’assistance humanitaire dont on a un besoin urgent, comme l’eau, l’électricité, le carburant et les fournitures médicales ».

Ce qui est autorisé à entrer dans la bande de Gaza n’est ni clair ni cohérent. Les organisations d’assistance peuvent parfois faire entrer certains articles, parfois non. Parfois, une cargaison entière est rejetée à cause d’un seul article, mais les raisons qui expliquent ce rejet ne nous sont pas communiquées, ce qui rend impossible l’adaptation des futures cargaisons en conséquence.

Jusqu’à présent, MSF a réussi à faire entrer à Gaza six cargaisons de 120 mètres cubes d’approvisionnements essentiels, transportés dans 53 camions. Nous aimerions en acheminer beaucoup plus, mais nous en avons été empêchés par le processus labyrinthique imposé par les autorités israéliennes.

Avant la guerre actuelle, on estime que 500 camions d’approvisionnement entraient chaque jour à Gaza. En février 2024, ce chiffre aurait chuté à moins de 100 camions par jour.

La pénurie criante de produits de première nécessité dans la bande de Gaza est aggravée par le fait que seuls deux points de passage sont ouverts : Rafah et Kerem Shalom, tous deux situés au sud de la bande de Gaza. En raison de l’insécurité ou de l’absence d’autorisation de la part des autorités israéliennes, peu de camions entrant dans le sud sont en mesure de passer par les nombreux points de contrôle situés plus au nord. Par conséquent, très peu d’assistance et d’approvisionnements de base parviennent au nord de Gaza. Sans accès à la zone, nous ne pouvons que deviner l’ampleur de la crise humanitaire qui y sévit. Bien qu’ils aient fait l’objet d’une large couverture médiatique, les largages aériens et les couloirs maritimes ont jusqu’à présent été peu nombreux et ne remplacent pas les voies terrestres. 

En empêchant l’assistance d’atteindre Gaza, on détruit son système de santé, qui ne peut répondre aux besoins des gens. C’est toute la population de Gaza qui en paie le prix. Il s’agit non seulement des dizaines de milliers de personnes blessées par la guerre, mais de toutes celles qui ont d’autres besoins médicaux : maladies chroniques, femmes enceintes présentant des complications, enfants souffrant de maladies infectieuses liées aux conditions déplorables dans lesquelles ils sont contraints de vivre.

Sans accès aux soins médicaux, des milliers de vies ont été perdues et continueront de l’être. Ces « meurtres silencieux » de Gaza sont le résultat d’une privation délibérée.