Fatima* est venue avec sa petite-fille à la clinique mobile mise en place par MSF à Umm Qussa, dans la région de Masafer Yatta, pour rapprocher les soins de santé des communautés. Elle était l'une des premières à arriver ce jour-là. C'est sa première consultation médicale depuis neuf mois. Cisjordanie, 2023. © Laora Vigourt/MSF
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Les Palestiniens et les Palestiniennes d’Hébron, en Cisjordanie, vivent dans une peur constante face à la montée de la violence

« La situation est mauvaise depuis des années », déclare Alma*. « Les soldats israéliens fouillent nos maisons jour et nuit, ils vandalisent et arrêtent les gens sans aucun avertissement. » Alma est Palestinienne. Elle vit à Hébron, la plus grande ville palestinienne de Cisjordanie, dans les territoires palestiniens occupés. Elle décrit la situation depuis que la guerre a éclaté entre Israël et Gaza, le 7 octobre.

L’appartement d’Alma, à Hébron, a été détruit par les soldats israéliens il y a quelques jours. « Depuis le 7 octobre, les choses ont empiré, il n’y a aucune pitié. Les membres de ma communauté sont profondément affectés et vivent dans une peur constante », dit-elle.

La violence et le harcèlement exercé par les colons et les soldats israéliens augmentent

Hébron illustre de manière frappante les souffrances des Palestiniens et des Palestiniennes sous l’occupation. Le climat d’intimidation et de coercition est omniprésent. La réalité quotidienne de la vie des gens se traduit par des restrictions de mouvements, des expulsions et des déplacements forcés, des démolitions de maisons, des opérations de recherche et d’arrestation, des perturbations de la scolarité et la présence continue de l’armée et des colons israéliens.

La récente escalade du conflit entre Israël et Gaza n’a fait qu’exacerber la violence et les restrictions imposées aux Palestiniens et aux Palestiniennes vivant en Cisjordanie. Au 2 janvier, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA en anglais) enregistrait que depuis le 7 octobre, au moins 198 ménages palestiniens comprenant 1 208 personnes, dont 586 enfants, avaient été déplacés. Cela représente 78 % de tous les déplacements signalés en 2023 en raison de la violence des colons et des restrictions d’accès en Cisjordanie.

« Immédiatement après le 7 octobre, nous pouvions déjà voir comment les choses prenaient une tournure plus sombre. L’accès aux services de base, y compris les magasins et les soins de santé, a été fortement restreint », explique Simona Onidi, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Hébron.

« La fourniture de soins de santé a également été perturbée. En raison des sévères restrictions de mouvement et du risque de violence pour les patients, les patientes et le personnel médical, nous avons observé, en octobre 2023, une réduction de 78 % des consultations médicales effectuées par notre équipe, par rapport au mois précédent », ajoute Simona Onidi.

La vieille ville d’Hébron est située dans la zone sous contrôle israélien connue sous le nom de H2. Les restrictions d’entrée et de sortie y sont extrêmement contraignantes et imprévisibles, ce qui a un impact sur tous les aspects de la vie des Palestiniens et des Palestiniennes qui y vivent. H2 est depuis longtemps l’une des zones les plus restreintes de Cisjordanie. Elle compte 21 points de contrôle permanents gérés par les forces israéliennes qui régulent les mouvements de la communauté palestinienne et constituent des obstacles importants pour le personnel de la santé qui tente d’y accéder.

Dans les premières semaines qui ont suivi le début de la guerre entre Israël et Gaza, les forces israéliennes ont restreint davantage les mouvements. Ils n’ont ouvert les points de contrôle qu’une heure le matin et une heure l’après-midi, et ce, quelques jours par semaine seulement. Parfois, les Palestiniens et les Palestiniennes ne sont pas autorisés à quitter leur domicile pendant quatre jours consécutifs, ne serait-ce que pour sortir les poubelles ou ouvrir les fenêtres.

« Je ne peux pas comparer le niveau d’intensité d’aujourd’hui à celui d’avant [la guerre]. C’est comme si les colons et l’armée israélienne n’avaient aucune limite », déclare Aliyah*, une Palestinienne de Tel Rumeida (H2).

Aliyah*, une femme palestinienne serre sa fille dans ses bras. Elle a vécu pendant 25 ans dans la vieille ville d’Hébron, l’une des zones les plus restreintes de Cisjordanie, Territoires palestiniens occupés. Cisjordanie, 2023. © Laora Vigourt/MSF

« Je suis enceinte et, par exemple, ce matin, les soldats m’ont demandé de passer trois fois dans la machine à rayons X [au poste de contrôle]. J’ai demandé à ne pas passer, pour la sécurité de mon bébé, mais ils n’ont rien voulu entendre, comme s’ils ne croyaient même pas que j’étais enceinte », raconte Aliyah.

« Nous sommes tous et toutes terrifiées. Les gens pensent que la situation à Gaza se reproduira en Cisjordanie. Serons-nous les prochains? Nous ne savons pas quand », déclare Salma*, une autre résidente du quartier H2 à Hébron.

Les restrictions de circulation compromettent les soins de santé

Les difficultés d’accès aux soins se sont accrues au cours des deux derniers mois en raison des restrictions de mouvement et de la violence. En réponse, nos équipes ont progressivement élargi leurs activités pour fournir des soins aux personnes qui ne sont pas en mesure d’atteindre les structures médicales.

Depuis novembre 2023, les cliniques mobiles de MSF ont ajouté six sites à leurs activités. Elles rejoignent maintenant un total de 10 zones couvrant l’extérieur et l’intérieur de la vieille ville d’Hébron, mais aussi les villages isolés de Masafer Yatta, dans le sud de la Cisjordanie. Nos équipes de cliniques mobiles offrent des consultations générales, des services de santé reproductive et un soutien en santé mentale. En novembre et décembre 2023, elles ont mené 1 900 consultations à travers ces différents sites.

« Avec l’augmentation des points de contrôle et des couvre-feux imposés, l’accès aux structures médicales est devenu de plus en plus dangereux », explique Juan Pablo Nahuel Sanchez, référent médical du projet MSF à Hébron.

« Dans le même temps, la fourniture de services médicaux est également devenue plus difficile pour les organisations médicales, car les restrictions de mouvement ont affecté la capacité du personnel de la santé à atteindre les installations médicales. En conséquence, toute l’offre de services de santé a été perturbée », explique-t-il.

La zone H2 d’Hébron ne compte qu’un seul établissement médical géré par le ministère palestinien de la Santé et destiné aux gens souffrant de maladies aiguës et chroniques. Depuis le 7 octobre, le personnel du ministère de la Santé n’a pas été autorisé à y accéder, laissant les gens sans soins de santé. Pour les personnes qui souffrent de maladies chroniques en particulier, l’absence de suivi pour assurer la continuité des soins est une préoccupation majeure. Aujourd’hui, aucune autre organisation que MSF ne peut opérer dans le secteur.

« Aucune voiture, ni même aucune ambulance ne sont autorisées à pénétrer dans la zone H2 », explique Nadia*, une résidente de H2, à Hébron. « Et si vous êtes enceinte et sur le point d’accoucher? Vous devez marcher jusqu’au sommet de la colline des postes de contrôle et prier pour que les soldats vous laissent passer facilement. Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’un [problème] médical que vous avez soudainement des droits », dit-elle.

En dehors de la ville d’Hébron, dans le désert montagneux et isolé de Masafer Yatta, les gens subissent une pression extraordinaire de la part des autorités israéliennes et des colons pour quitter la région. Les expulsions, les démolitions de maisons et les restrictions de circulation se sont également intensifiées depuis la récente escalade et ont considérablement entravé l’accès aux soins de santé.

« Nous voyons des individus qui n’ont pas rencontré de médecin depuis des semaines ou des mois. Les affections les plus courantes sont les infections respiratoires et les maladies chroniques. Les médicaments sont chers, et sans assurance maladie, les gens n’ont aucun moyen de les payer », explique Juan Pablo Nahuel Sanchez. 

Parallèlement, les services de santé mentale, notamment l’assistance psychologique, le conseil et la psychothérapie, continuent d’être proposés aux personnes touchées par la situation. Nos psychologues constatent une nette détérioration de la santé mentale.

« Ce qui est frappant ici, c’est que nous ne soignons pas seulement des troubles de stress post-traumatique, mais des traumatismes continus. Les personnes sont exposées quotidiennement à des événements traumatisants et il est difficile de les soulager », explique un psychologue de MSF.

La détérioration de la santé mentale n’affecte pas seulement ceux et celles qui sont capables de saisir l’ampleur et l’impact de la violence causée par l’occupation. Même les enfants en bas âge présentent des symptômes d’anxiété, tels que l’énurésie, les cauchemars et l’isolement.

« Cela me brise le cœur d’élever des enfants dans cet environnement », déclare Aliyah. « Vous savez ce que ma fille m’a dit l’autre jour? “Maman, j’ai tellement peur”, et elle n’a que deux ans. »


MSF est présente en Cisjordanie depuis 1988. Elle intervient actuellement à Hébron, Naplouse et Jénine. Nos équipes gèrent des programmes de santé mentale avec des activités de proximité, fournissent des services médicaux et des soins de santé de base via des cliniques mobiles. Elles tiennent aussi des séances de renforcement des capacités, offrant des formations aux structures de santé et aux hôpitaux pour les plans d’urgence de masse, la réponse aux situations d’urgence et le triage.

Outre l’élargissement de la réponse médicale, depuis le 7 octobre, notre équipe a intensifié les activités de promotion de la santé communautaire et la distribution d’articles de secours. Des trousses d’hygiène et des colis alimentaires ont été remis aux gens de Gaza déplacés à l’intérieur du pays et aux résidents et résidentes de Cisjordanie touchées par la violence et les déplacements forcés.

*Les noms ont été modifiés et d’autres éléments permettant d’identifier les gens ont été supprimés pour des raisons de sécurité.