Le personnel de MSF et le personnel recruté localement marchent dans le camp pour personnes réfugiées de Jénine après une frappe aérienne, le 25 octobre. Gaza, 2023. © MSF/Faris Al-Jawad
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Cisjordanie : les forces israéliennes et les colons intensifient la violence contre la communauté palestinienne

Il est 2 h 30 du matin et les médecins se regroupent devant l’entrée de l’hôpital de Jénine, en Cisjordanie. La brève accalmie, entre les ricochets des tirs, est brusquement interrompue par les cris et les crissements de pneus du tuk-tuk qui franchit les portes de l’hôpital. Bientôt, l’amas de corps ensanglantés qu’il transporte commence à prendre forme.

Des jeunes hommes touchés par balles à l’abdomen et aux cuisses sont allongés sur des brancards. Ils sont ensuite amenés vers la salle d’urgence, où ils sont examinés, bandés et envoyés d’urgence en salle d’opération.

« La plupart des individus que nous recevons ont été touchés à l’abdomen et aux jambes », explique le Dr Pedro Serrano, médecin de l’unité de soins intensifs de MSF. « Certains ont eu le foie et la rate brisés, tandis que d’autres souffrent de graves lésions vasculaires. Nous avons eu un cas très triste d’un homme qui marchait juste devant l’entrée de l’hôpital lorsqu’un tireur embusqué l’a atteint d’une balle dans la tête. La violence se poursuit et la plupart des personnes que nous recevons ont des blessures qui mettent leur vie en danger. »

Depuis le début des attaques meurtrières contre Gaza, le 7 octobre, la violence s’est répandue en Cisjordanie. À Jénine, les médecins urgentistes de MSF reçoivent presque chaque nuit des appels de l’hôpital public, alors que les incursions israéliennes avec des chars et des troupes au sol s’abattent sur la ville. Au cours du dernier mois, les forces israéliennes ont tué 30 personnes et en ont blessé au moins 162 autres dans la seule ville de Jénine*.

Dans le camp pour personnes réfugiées de Jénine, les services ambulanciers doivent utiliser un tuk-tuk, offert par MSF, pour se faufiler dans les ruelles étroites du camp afin de recueillir les gens qui sont blessés. Les forces israéliennes bloquent souvent l’entrée du camp, ce qui empêche ou retarde le passage des ambulances, compromettant ainsi la vie des gens gravement blessés.

À l’extérieur de l’hôpital, une ambulance percée d’impacts de balles est entourée d’un groupe d’ambulanciers qui regardent fixement la nuit bourdonnante. L’un d’eux raconte qu’on lui a tiré dessus, alors qu’il tentait d’atteindre des personnes blessées dans le camp. Il a alors été obligé d’évacuer l’ambulance et de se mettre à l’abri sur le sol pendant 20 minutes, jusqu’au départ des forces israéliennes.

Les traces de la destruction sont visibles non seulement à travers les personnes blessées par balles et par éclats d’obus à l’hôpital de Jénine, mais aussi dans la ville elle-même. Là, des infrastructures et des bâtiments palestiniens symboliques ont été arrachés et détruits par les bulldozers et les chars d’assaut.

Les incursions et les incidents violents ne sont pas propres à Jénine. Selon les autorités palestiniennes, 165 personnes ont été tuées depuis le 7 octobre dans l’ensemble de la Cisjordanie, et plus de 2 400 ont été blessées.

Selon le ministère du Travail palestinien, 6 000 Gazaouis qui travaillaient en Israël avant le conflit, et dont les permis de travail ont été annulés depuis, vivent désormais dans des centres de déplacement en Cisjordanie.

Les équipes de MSF se rendent dans ces centres pour prodiguer des soins, faire don de médicaments contre les maladies non transmissibles et offrir un soutien en santé mentale. Certaines personnes ont rapporté à nos équipes qu’elles avaient été battues, humiliées et abusées alors qu’elles étaient détenues par les forces israéliennes depuis le 7 octobre.

« Nous avons soigné des gens qui présentaient des signes nous permettant de croire qu’ils avaient été attachés et battus, apparemment par les forces israéliennes », explique Yanis Anagnostou, responsable des activités de santé mentale de MSF à Jénine. « Ils disent avoir été tourmentés pendant plusieurs heures avant d’être abandonnés à la frontière de la Cisjordanie. »

Violence et déplacement forcé

Dans le gouvernorat d’Hébron, au sud de la Cisjordanie, les violences impliquant les forces israéliennes et les colons, les déplacements forcés et les restrictions de circulation ont eu un impact sur tous les aspects de la vie quotidienne des Palestiniens et des Palestiniennes. Les gens ont raconté aux équipes de MSF, qui travaillent dans la région depuis 2001, qu’ils ne se sentent pas en sécurité, même en marchant dans leurs propres rues. Ils soulignent que l’accès aux services de base, y compris aux marchés d’alimentation et aux soins de santé, est fortement limité.

Selon l’ONU, au moins 111 familles palestiniennes, soit environ 905 personnes, n’ont eu d’autre choix, depuis le 7 octobre, que de quitter leurs foyers en Cisjordanie en raison des violences et des intimidations des forces israéliennes et des colons.

Parmi les dizaines de familles déplacées dans les collines au sud d’Hébron, deux ont été contraintes de partir après que des colons ont brûlé leur maison, volé des panneaux solaires et des barils d’eau, et coupé les canalisations d’eau. Nos équipes ont prêté assistance aux personnes touchées leur offrant des soins de santé mentale et des trousses de déplacement.

Les équipes MSF basées à Hébron fournissent également aux familles des articles de première nécessité, notamment des couvertures, des matelas et des dispositifs de chauffage. Elles offrent en outre un soutien en santé mentale aux personnes qui ont été exposées à la violence ou déplacées de force de leur domicile.

« Une femme dont la maison a été réduite en cendres m’a raconté à quel point elle se sentait toujours en danger, effrayée et en insécurité », explique Mariam Qabas, superviseure MSF de la promotion de la santé à Hébron. Elle m’a dit : « Je n’ai jamais pensé à quitter ma terre ou ma maison comme ça, mais je ne peux pas mettre en danger mes fils et ma famille. Je ne peux pas voir l’avenir. Je me sens désemparée et impuissante. »

« Ce sont des réactions tout à fait normales dans des circonstances aussi anormales, où les gens sont confrontés à une violence et une insécurité intenses », explique Mariam.

MSF exhorte les autorités israéliennes à faire preuve de retenue en Cisjordanie. Elle demande de mettre fin aux violences et aux déplacements forcés et de cesser de mettre en œuvre des mesures restrictives qui entravent la capacité des Palestiniens et de Palestiniennes à accéder aux services de base, y compris aux soins médicaux.

Alors que les bombardements et les châtiments collectifs infligés à la population de Gaza se poursuivent sans relâche et que l’anarchie et l’effusion de sang se répandent en Cisjordanie, la nécessité d’un cessez-le-feu et d’une trêve humanitaire se fait plus pressante que jamais.

Zouhir, comme beaucoup d’autres Gazaouis déplacés en Cisjordanie, suit les événements de Gaza depuis une salle de sport bondée de Jénine, où il dort avec des centaines d’autres travailleurs déplacés.

« Aujourd’hui, notre souffrance est d’être loin de nos enfants et de nos familles », explique-t-il. « Nous parlons à nos enfants à Gaza et nous pleurons. J’aimerais qu’ils me renvoient à Gaza, là où sont mes enfants et mes petits-enfants. Notre souffrance, c’est que nous sommes impuissants et que nous ne pouvons rien faire. »

*Chiffres du ministère de la Santé palestinien.


À propos de MSF en Palestine 

Ces informations concernant notre intervention étaient exactes au 9 novembre 2023. 

Les activités de Médecins Sans Frontières (MSF) à Gaza sont actuellement très limitées. Nous éprouvons d’énormes difficultés à acheminer l’assistance et à fournir des soins de santé, en raison notamment de l’insécurité et de l’imprévisibilité des bombardements. Alors qu’une partie de nos collègues se sont dirigés vers le sud à la suite de l’ordre d’évacuation inacceptable du nord de Gaza, d’autres y sont restés et continuent de soutenir les activités d’urgence à l’hôpital Al-Shifa ainsi qu’à l’hôpital Al-Nasser, dans le sud. À l’hôpital Al-Awda, une équipe de sept personnes travaille également dans le service pour patients et patientes hospitalisées de MSF. 

Nous soutenons les autorités sanitaires locales par des dons provenant de notre réserve de fournitures médicales. En raison de l’afflux massif et ininterrompu de personnes blessées depuis le début du conflit qui sévit actuellement, l’hôpital Al-Shifa, la principale structure chirurgicale de la bande de Gaza, était au bord d’une pénurie totale de médicaments essentiels. En réponse à cette situation, nous sommes parvenus à y faire un don important de fournitures, dont des médicaments et de l’équipement médical. 

Notre personnel travaille d’arrache-pied à la préparation des fournitures médicales et humanitaires qui seront envoyées à Gaza dès que l’accès sera garanti et ouvert. Nous enverrons également des équipes d’urgence là et quand se sera possible. 

MSF s’engage à soutenir les personnes affectées par les bombardements israéliens et les attaques aveugles sur Gaza. Nous sommes solidaires du personnel de la santé, des patients et des patientes de Gaza. Nous souhaitons accéder aux personnes ayant besoin de soins médicaux et offrir des services humanitaires essentiels, mais pour ce faire, nous avons besoin de garanties de sécurité élémentaires. 

La Cisjordanie  

Les activités médicales et humanitaires de MSF en Cisjordanie ont été affectées par l’escalade de la violence et le renforcement des restrictions de circulation qui ont limité l’accès aux services essentiels, y compris aux soins de santé. Pour s’adapter à la situation, les équipes médicales de Médecins Sans Frontières (MSF) proposent aux personnes déplacées comme aux résidents et résidentes des consultations téléphoniques. Elles orientent aussi les gens vers des traitements médicaux, des soins de santé mentale et des services sociaux. Les équipes de santé mentale de MSF fournissent également des services d’assistance psychologique, de conseil et de psychothérapie, la plupart du temps à distance. Dans la ville de Naplouse, en Cisjordanie, les équipes de MSF continuent de fournir des soins de santé mentale.  

MSF a fait don de fournitures médicales, dont des trousses chirurgicales, à l’hôpital Ahli d’Hébron, et de trousses de premiers secours aux responsables communautaires de Beit Ummar, Al-Rashaydeh, et au centre de soins d’urgence d’Um Al-Khair. MSF a également apporté son soutien, notamment sous forme de formations, au personnel de l’hôpital Al Mohtaseb, situé dans la vieille ville d’Hébron. MSF continue d’évaluer la situation dans les hôpitaux de Cisjordanie.