Gaza : l’histoire d’Abdul Rahman
Après quasi un an d’attaques israéliennes incessantes dans la bande de Gaza, près de 41 000 personnes ont été tuées et 95 000 ont été blessées. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, au moins 12 000 de ces personnes blessées ont besoin d’une évacuation médicale.
Médecins Sans Frontières (MSF) appelle les autorités israéliennes à assurer les évacuations médicales des Palestiniens et des Palestiniennes ayant besoin de soins médicaux spécialisés, et des personnes qui les accompagnent. MSF exhorte les autres États à recevoir et faciliter les traitements en dehors de Gaza, tout en garantissant à tous et à toutes un retour sûr, volontaire et digne dans la bande de Gaza.
Au centre de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie, nos équipes soignent les quelques enfants gazaouis que nous avons réussi à transférer pour rééducation, après leur évacuation médicale vers l’Égypte. Il s’agit là d’un minuscule pourcentage parmi les milliers de personnes qui, d’un bout à l’autre de la bande de Gaza, ont besoin de soins médicaux spécialisés.
Abdul Rahman a été grièvement blessé le 10 février 2024, après qu’une frappe aérienne israélienne l’a pris pour cible, alors qu’ils cherchaient de la nourriture avec ses amis, dans le nord de la bande de Gaza. Abdul Rahman, 15 ans, a failli perdre sa jambe dans cette attaque. Après avoir été opéré d’urgence à Gaza, il a été médicalement évacué vers l’Égypte, puis vers l’hôpital de MSF à Amman.
Là, il a pu avoir accès à une chirurgie complète accompagnée d’une physiothérapie quotidienne et d’un soutien santé mentale. Sept mois après l’attaque, Abdul Rahman revient sur son incroyable parcours de guérison, alors que beaucoup d’autres enfants comme lui restent dans l’attente d’une évacuation.
« Ce jour-là, ma mère dormait, alors je suis sorti avec mon sac à dos pour essayer de vendre du sésame avec mon cousin et un ami. Je voulais obtenir de l’argent pour la nourriture. Au bout d’un moment, nous sommes sortis de notre zone pour aller où se trouvaient les militaires israéliens, car ils laissent souvent de la nourriture derrière eux après leur départ. Je voulais surprendre ma mère avec du sel ou de la farine.
Nous cherchions dans quelques maisons de la rue Al-Rashid, près de la mer, quand nous avons vu qu’il y avait des soldats israéliens, alors nous avons commencé à nous enfuir. J’étais au milieu, mon cousin et mon ami étaient de chaque côté de moi. Nous avons alors entendu le bourdonnement d’un drone au-dessus de nous. Soudain, j’ai eu l’impression de tourner sur moi-même et je ne voyais plus rien. Lorsque j’ai repris conscience, mon cousin me traînait sur le bord de la route. Il m’a dit : “Si nous restons ici, nous allons tous mourir”. Il a attaché quelque chose autour de ma jambe et il s’est enfui.
J’ai commencé à ramper vers le trottoir et je pouvais encore entendre des explosifs tomber près de moi. J’ai rampé pendant environ une heure. Je me souviens que des chiens m’entouraient. Je n’arrêtais pas de crier à l’aide, puis de m’évanouir, jusqu’à ce qu’un jeune homme arrive. Il m’a soulevé et m’a porté sur son épaule. Je me souviens qu’il me laissait parfois tomber pour se reposer, puis me reprenait et continuait à marcher. Au bout d’un moment, il m’a mis sur du bois et, avec l’aide d’autres hommes, ils m’ont porté jusqu’à l’hôpital jordanien de Gaza. »
Lorsqu’Abdul Rahman est arrivé à l’hôpital jordanien, les médecins ont craint de devoir l’amputer. Il a été transféré à l’hôpital baptiste où des chirurgiens ont pratiqué une opération d’urgence et ont réussi à sauver sa jambe. En raison du manque de fournitures médicales à Gaza, les chirurgiens ont dû effectuer l’intervention sans anesthésie.
« Ils frottaient la plaie avec de l’iode pour éviter qu’elle ne s’infecte. C’était une véritable torture. Au bout de trois semaines, ils m’ont transféré à l’hôpital Al-Shifa, car les Israéliens larguaient des bombes près de l’hôpital baptiste et celui-ci n’était plus sûr.
Nous sommes restés à Al-Shifa pendant deux mois. Il y avait des massacres tous les jours. Cependant, lorsque les Israéliens ont attaqué l’hôpital, en mars, nous avons dû fuir. Comme il n’y avait pas de voitures, nous avons dû nous rendre au sud à dos d’âne. Chaque fois que nous voyions des Israéliens, ils nous intimidaient, nous forçant à lever les mains et à descendre des ânes ».
Lorsque Abdul Rahman et sa famille sont arrivés dans le sud, il a été admis à l’hôpital Yousef Al-Najar de Rafah. Au bout d’une semaine, sa mère et lui ont obtenu l’autorisation d’être évacués pour raisons médicales vers un hôpital du Caire, en Égypte, avant d’être transférés quelques mois plus tard à l’hôpital de MSF à Amman, en Jordanie. À l’hôpital de MSF, Abdul Rahman a subi une intervention chirurgicale pour modifier le fixateur externe de sa jambe droite, ainsi qu’une physiothérapie quotidienne pour favoriser la guérison de son os.
« Avant d’arriver ici, je ne pouvais me déplacer qu’en fauteuil roulant, mais maintenant je peux marcher avec des béquilles. Grâce à la physiothérapie, je m’améliore un peu plus chaque jour.
Nous voulons retourner à Gaza une fois qu’elle sera reconstruite, mais tous nos bâtiments et nos maisons ont été détruits. Je veux juste retrouver mes frères et sœurs et mon père qui sont toujours à Gaza. Je rêve toujours d’eux.
Quand je serai plus grand, j’espère devenir chirurgien, parce qu’ils m’ont beaucoup aidé, alors maintenant je veux aider d’autres personnes. »
Alors qu’au moins 14 000 personnes à Gaza ont besoin d’une évacuation médicale, l’Organisation mondiale de la Santé estime que le taux d’approbation des cas pour les évacuations médicales n’est que de 41 %. Selon MSF, un des obstacles à l’évacuation des personnes ayant des besoins médicaux provient des autorités israéliennes, qui refusent arbitrairement les évacuations médicales pour les enfants et les personnes qui en sont responsables.