« Maman, j’ai peur »
Les témoignages de MSF à Gaza mettent en lumière les enfances détruites par la guerre
Avertissement : cet article contient des propos difficiles.
« Maman, j’ai peur. » La Dre Ruba*, mère de famille et médecin de MSF à Gaza, raconte une conversation qu’elle a eue avec son fils, en février 2024. « … Je veux vraiment vivre. Maman, j’ai peur que le siège s’approche de nous, que nous ne puissions pas avoir de nourriture ou d’eau. J’ai peur de mourir de faim, ou de te voir mourir entre mes mains parce que quelqu’un t’a tiré dessus ou qu’un drone t’a tiré dessus, et que nous n’avons pas pu te sauver, maman. »
Ces craintes reflètent ce dont les collègues de Médecins Sans Frontières (MSF) ont été témoins depuis le début de la guerre d’Israël contre Gaza : des enfances brisées et détruites par une violence brutale et aveugle. Nous sommes profondément alarmés par les rapports* de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens selon lesquels plus d’enfants ont été tués ces derniers mois à Gaza qu’en quatre ans de conflit à travers le monde. La caractérisation par le secrétaire général des Nations Unies de Gaza comme un « cimetière pour enfants » parle d’elle-même. Aussi poignantes que soient ces statistiques, ce sont les histoires et les témoignages des enfants, de leurs proches et du personnel médical – y compris le personnel de MSF à Gaza – qui illustrent de la façon la plus dévastatrice à quel point la violence actuelle déracine et change à jamais la vie des enfants.
Voici quelques témoignages recueillis au cours des six derniers mois par les membres du personnel de MSF à Gaza. Des propos qui mettent en lumière l’insoutenable bilan de cette guerre pour les enfants.
Les hôpitaux soutenus par MSF à Gaza reçoivent un nombre écrasant d’enfants souffrant de blessures débilitantes dues aux bombardements sur ou à l’extérieur de leurs maisons. Brûlures, membres manquants et plaies gravement infectées en raison du manque de soins médicaux, autant de blessures pour lesquelles MSF a soigné des enfants à Gaza depuis le début de la guerre. Marie-Aure Perreaut Revial raconte* que les chirurgiens et les chirurgiennes de MSF ont dû « opérer des enfants d’un an, de deux ans, qui ont dû être amputés d’une jambe ou de deux, d’un bras ou de deux ». Cela illustre l’atrocité des douloureuses blessures que les enfants sont contraints d’endurer pendant cette guerre.
Emily Callahan, une infirmière américaine de MSF, évacuée de Gaza en novembre 2023, a également raconté qu’elle a vu « des enfants avec des brûlures massives au visage, au cou, sur tous les membres. Et parce que les hôpitaux sont tellement débordés, ils sont immédiatement renvoyés dans des camps sans eau courante… et ils ont ces brûlures et blessures fraîches et ouvertes et des amputations partielles, et des parents qui nous tournent autour en disant “S’il vous plaît, pouvez-vous nous aider? S’il vous plaît, pouvez-vous nous aider?” ».
En raison du siège permanent d’Israël sur Gaza et de la rareté des fournitures médicales essentielles, seule une sédation légère peut être administrée à la plupart des gens dans les services – y compris les enfants – pour soulager la douleur lors d’opérations chirurgicales douloureuses, comme les amputations.
L’année dernière, les équipes médicales ont créé un nouvel acronyme dévastateur, WCNSF – wounded child, no surviving family – pour décrire le grand nombre d’enfants orphelins et non accompagnés qui arrivent dans les hôpitaux de Gaza en quête de soins. Des enfants ont raconté aux équipes médicales de MSF qu’ils avaient vu des membres de leur famille se faire tuer, écrasés dans leur maison et démembrés sous leurs yeux.
Par exemple, à la suite de la frappe sur le camp de personnes réfugiées de Jabaliya, en novembre 2023, Faris Al-Jawad, ancien responsable des communications de MSF en Palestine raconte que des collègues, dans les hôpitaux, ont décrit une situation où la plupart des enfants qui arrivaient n’avaient pas de parents ou de membres de la famille ayant survécu. « Il n’y avait personne. Les membres de notre équipe devaient donc rester avec les enfants, évidemment leur donner des soins médicaux d’urgence, mais aussi rester avec eux par la suite parce qu’ils étaient seuls. »
Sous la menace constante de voir leurs familles séparées et déchirées, les gens de Gaza ont pris des mesures inimaginables pour s’assurer, au minimum, que les corps de leurs proches puissent être identifiés s’ils étaient tués. « J’ai écrit les noms de mes enfants et de ma famille sur leurs poignets et leurs jambes, afin que nous puissions être identifiés si nous sommes bombardés et que notre maison est détruite », expliquait en février une médecin de MSF à Rafah qui a préféré garder l’anonymat.
La pénurie alimentaire et la montée en flèche de la malnutrition font également payer un tribut insupportable aux enfants et aux familles, en particulier dans le nord de Gaza, où l’Organisation mondiale de la Santé a signalé des niveaux de faim catastrophiques. Alors qu’elle tente de nourrir ses enfants affamés avec le strict minimum d’approvisionnements, l’interprète de MSF Israa Ali, basée à Jabalia, dans le nord de Gaza, se reproche parfois d’avoir donné naissance à des enfants dans un monde aux conditions aussi désastreuses. Bien que la présence de MSF dans le nord de la bande de Gaza soit limitée, les témoignages de nos collègues palestiniennes comme Israa nous font craindre un accès très limité à la nourriture de base, à l’eau et à d’autres approvisionnements essentiels.
MSF lutte également contre la malnutrition dans le sud de la bande de Gaza. « À l’hôpital Al-Aqsa [dans la zone médiane de Gaza], il y avait une situation terrible où les équipes devaient choisir entre donner des lits à des gens souffrant de traumatismes ou à des enfants dénutris », racontait Christopher Lockyear, secrétaire international de MSF lors de sa visite à Gaza, en mars 2024.
Le bilan psychologique de la guerre et des déplacements forcés sur le bien-être émotionnel des enfants à Gaza est immense. Dans les conversations avec les psychiatres de MSF, les enfants décrivent comment ils ont été exposés à des événements extrêmement traumatisants et le fait qu’ils ne se sentent pas en sécurité.
MSF offre du soutien aux enfants qui subissent un stress psychologique élevé et des traumatismes, notamment par le biais du jeu, des contes et des activités artistiques. De nombreux enfants utilisent les dessins et les récits pour essayer de donner un sens à leur situation, et pour apporter un peu de normalité dans l’anormalité absolue.
« Les enfants eux-mêmes ont commencé à s’interroger sur leur appartenance à l’humanité. Nous devons nous demander si c’est dans ce monde que nous voulons que les enfants grandissent. Est-ce le monde que nous voulons pour eux? », questionne la Dre Audrey McMahon.
Malgré les horreurs qu’ils sont contraints d’endurer à Gaza, MSF a également été le témoin direct de la résilience dont font preuve les enfants. Une résilience qui, en dépit de tous les obstacles, continue de rayonner sur leurs proches. Après être revenu récemment de Gaza, le secrétaire général de MSF, Christopher Lockyear, a décrit avoir rencontré deux jeunes filles qui sympathisaient avec les patients et les patientes pour soutenir leur rétablissement à l’hôpital indonésien de Rafah. Il parle aussi d’un garçon de six ans qui s’accrochait fermement à son père, alors qu’il recevait des soins de physiothérapie pour sa jambe blessée.
De la même façon, la Dre McMahon décrit comment l’espoir et le chagrin s’entremêlent dans les œuvres d’art des enfants qui témoignent de leur expérience à Gaza. « Il y a en quelque sorte deux mondes : un monde fait de jaune, avec de belles maisons et un soleil radieux; et un monde fait de rouge, avec des parties de corps démantelées et réduites en pièces détachées… C’est comme s’il y avait un avant et un après dans ce dessin. Le monde du soleil, où la couleur choisie était le jaune, une couleur de lumière, de joie. »
Ces histoires ne sont qu’un bref portrait de l’enfance à Gaza. Une enfance caractérisée par des horreurs et des traumatismes inimaginables, mais aussi par l’espoir inébranlable en un avenir meilleur.
MSF continue d’appeler à un cessez-le-feu durable et immédiat à Gaza.
*La plupart des liens sont disponibles seulement en anglais.