Des membres de l’équipe de MSF marchent dans les rues du camp pour personnes réfugiées de Jénine, au nord de la Cisjordanie.
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Cisjordanie : dans l’ombre de la guerre; violence et restrictions accrues

« Nous marchons pendant des heures pour atteindre les établissements ou les installations de santé. Parfois, nous utilisons des ânes pour transférer les personnes malades à l’hôpital ou à la clinique », explique Mahmud Mousa Abu Eram, un Palestinien d’Hébron, en Cisjordanie.

« Il n’y a plus de moyens de transport dans cette région depuis longtemps, et même s’il y a une voiture pour nous déposer dans une clinique, l’armée israélienne confisque les voitures. »

Mahmud Mousa Abu Eram, un Palestinien d’Hébron, en Cisjordanie

Hébron

Hébron est une ville située dans une région montagneuse et sèche, connue pour ses vignobles millénaires. Elle est considérée comme l’une des plus anciennes villes de Cisjordanie. Sa riche histoire et celle de la Cisjordanie dans son ensemble sont toutefois hantées par une violence brutale, qui s’est intensifiée à l’époque moderne. Si cette violence n’a rien de nouveau, elle a connu un pic en Cisjordanie depuis le 7 octobre, date à laquelle la guerre de Gaza a éclaté. Selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), dans les mois qui ont suivi le 7 octobre, 479 Palestiniennes ou Palestiniens ont été tués, dont 116 enfants. Parmi eux, 462 ont été tués par les forces israéliennes, 10 par des colons. Pour les 8 autres, il n’est pas clair si les auteurs étaient des colons ou des soldats. Un tiers de ces individus ont été tués dans des camps pour personnes réfugiées dans les villes de Tulkarem, de Jénine ou à proximité.

Bande de terre située entre Israël et la Jordanie, la Cisjordanie est un territoire palestinien occupé. Plus de 2,9 millions de Palestiniens et de Palestiniennes vivent dans cette région, répartis dans 11 districts. Selon les Nations Unies, il se trouve environ 630 000 colons israéliens (en anglais seulement) parmi la population de Cisjordanie et de la proche Jérusalem-Est.

Les mêmes sources estiment qu’environ 61 % de la Cisjordanie est interdite aux Palestiniens et Palestiniennes. Les points de contrôle, les barrages routiers et les incursions de l’armée israélienne et des colons ont longtemps coupé les villes et les villages les uns des autres. Ils ont notamment empêché les gens d’accéder aux services de base, comme les soins de santé et les marchés alimentaires. Les gens manquent ainsi d’eau, de carburant et d’autres approvisionnements, et les Palestiniens et Palestiniennes ne peuvent plus se rendre à l’école, au travail, dans leur famille ou chez leurs amis.

Dans le district de Masafer Yatta, à Hébron, les Palestiniens et Palestiniennes ont de plus en plus de mal à accéder aux établissements de santé en raison des fréquents barrages routiers, des raids militaires et des attaques des colons. Pour ne rien arranger, aucune organisation locale ne peut fournir des services de santé de base en raison du manque de fonds, des restrictions imposées par l’armée israélienne et du mauvais état des infrastructures routières qui limitent l’accès à la ville.

Par ailleurs, la gravité des violences à Masafer Yatta a fait que de nombreuses personnes n’osent plus sortir de chez elles. « La plupart du temps, il est interdit de se tenir à la fenêtre. Un jour, alors que je me tenais à la fenêtre, un colon m’a vu et s’est plaint aux soldats », raconte un patient de Médecins Sans Frontières (MSF) qui souhaite rester anonyme.

« Les soldats ont pris d’assaut ma maison et ont tout détruit. »

Un patient de MSF

Même lorsque les gens de Cisjordanie peuvent accéder aux établissements, leur sécurité et celle du personnel soignant ne sont pas garanties. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), depuis octobre 2023, les autorités sanitaires israéliennes ont été responsables de plus de 447 attaques contre les soins de santé en Cisjordanie (en anglais seulement).

Dans les districts de Jénine et de Tulkarem, au nord de la Cisjordanie, les forces israéliennes mènent régulièrement des raids terrestres accompagnés de frappes aériennes et de drones, avec des conséquences meurtrières. Avec les incursions militaires, la violence des colons dans le nord de la Cisjordanie est l’un des principaux obstacles auxquels les Palestiniennes et les Palestiniens sont confrontés dans leur vie quotidienne.

Les Palestiniens et les Palestiniens qui vivent dans les camps pour personnes réfugiées de Tulkarem et de Jénine sont pris au piège et empêchés d’accéder aux établissements, notamment lors des incursions militaires. Les personnes souffrant de blessures graves attendent de pouvoir atteindre les hôpitaux, et dans de nombreux cas, elles meurent avant d’y arriver. Dans ces deux localités, les équipes de MSF ont apporté un renfort en soins d’urgence et ont soutenu le personnel paramédical volontaire par des dons et des formations.

Le 21 avril, dans les camps de Tulkarem et de Nur Shams, un personnel paramédical volontaire a reçu une balle dans la jambe alors qu’il était en service. En raison des hostilités, il lui a fallu sept heures pour atteindre l’hôpital. Lors d’un autre incident, un membre de notre personnel a administré la réanimation cardio-pulmonaire (RCP) à un enfant de 16 ans après que celui-ci ait reçu une balle dans la tête. Il n’est malheureusement pas parvenu à le sauver. « Son père, également membre du personnel paramédical formé par MSF, a appris la nouvelle que son fils avait été tué alors qu’il travaillait dans l’ambulance. » Itta Helland-Hansen, coordonnateur de projet MSF à Jénine.

Les quelques membres du personnel médical qui sont encore en mesure d’effectuer leur travail sont poussés à leurs limites professionnelles. « La plupart du temps, les ambulances sont bloquées aux postes de contrôle. Cela, même en cas d’urgence médicale et lorsque nous avons activé la sirène », explique un infirmier du camp pour personnes réfugiées d’al Arrub, dans le sud de la Cisjordanie, entre Hébron et Bethléem.

« La durée de l’arrêt ne dépend pas de l’urgence médicale, mais de l’humeur des soldats. Ils nous font attendre une heure ou deux… Ou ils nous font prendre une autre route. Si la personne est blessée par balle par l’armée israélienne, ils peuvent l’arrêter et même confisquer l’ambulance. Nous ne savons pas ce qu’il adviendra alors de cette personne. Sera-t-elle emmenée à l’hôpital ou en prison? Et si oui, recevra-t-elle des soins médicaux en prison? », explique un médecin du camp pour personnes réfugiées d’al Arrub.

La seule alternative possible pour éviter les longs délais d’attente et le harcèlement aux points de contrôle, c’est de renoncer à recevoir des soins médicaux.

« Avant le 7 octobre, la situation était un peu plus facile, j’utilisais des itinéraires alternatifs pour me rendre là où je devais aller, et mon thérapeute en santé mentale me contactait pour s’assurer que je continuais de participer à mes séances », raconte une patiente MSF en santé mentale de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie.

« Venir ici pour la séance me réconforte. Je ne me sens pas en danger quand je suis ici », ajoute-t-elle.