Photo prise dans les rues de Khan Younis, près de l'hôpital Nasser. Gaza, 2024. MSF
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Gaza : comment l’armée israélienne a assiégé et attaqué l’hôpital Nasser

Dans la nuit du 14 au 15 février 2024, l’hôpital Nasser, auparavant le plus important du sud de la bande de Gaza, est frappé par un tir d’obus de l’armée israélienne. Ce tir a touché le service orthopédique, faisant un mort et huit personnes blessées. Après plusieurs semaines consécutives de combats intenses avec des groupes armés palestiniens à Khan Younis, les troupes israéliennes prennent d’assaut l’établissement qu’elles assiégeaient jusqu’alors. Les membres du personnel de Médecins Sans Frontières (MSF) qui y travaillent en sont les témoins directs. Leurs récits, corroborés par d’autres sources, retracent les événements qui ont précédé la nuit du 15 février et l’évacuation de l’hôpital. Les éléments dont nous disposons mettent en lumière des attaques délibérées et répétées de l’armée israélienne contre l’hôpital Nasser, ses patients, ses patientes et son personnel médical. Dès novembre 2023, MSF avait documenté des attaques similaires contre les hôpitaux Al-Shifa, Al-Quds et Al-Nasr, dans le nord de la bande de Gaza.

Photographie prise à l’intérieur de l’hôpital Nasser, Gaza, 13 mars 2024 © MSF

1er décembre 2023 | Les combats reprennent entre l’armée israélienne et le Hamas, mettant un terme à une trêve de sept jours qui avait commencé le 24 novembre.

17 décembre 2023 | registre MSF[i]

La maternité de Nasser a été ciblée, plusieurs victimes. Une petite fille de 13 ans[ii] a été tuée.

25 décembre 2023 | registre MSF

Bombardements violents autour de Nasser faisant suite aux ordres d’évacuation des blocs 64 et 112, situés à proximité de l’hôpital.

8 janvier 2024 | Tir d’obus israélien sur un abri où se trouvent plus de 100 membres du personnel de MSF et leurs familles à Khan Younis. La petite fille de l’un d’entre eux, âgée de cinq ans, est tuée.

13 janvier 2024 | témoignage de Thomas Lauvin, coordonnateur de projet

« Nous sommes progressivement confinés dans un périmètre très limité dans le sud de Gaza, avec des capacités à déployer une assistance médicale qui ne cessent de se réduire, alors que les besoins continuent de croître de manière dramatique. Au fur et à mesure de l’avancée de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, nous avons dû évacuer plusieurs centres de santé dans le nord, puis dans le centre. Aujourd’hui, nous sommes contraints de travailler dans le sud essentiellement, parce que nous ne pouvons plus le faire ailleurs. Autrement dit, nous manquons d’hôpitaux. Nous sommes obligés de laisser des patients et des patientes derrière nous. »

15 janvier 2024 | rapport de visite à l’hôpital Nasser par Aurélie Godard, responsable de l’équipe médicale, et Léo Cans, directeur de projet

« Le 15 janvier, vers 15 heures, une frappe aérienne a touché des camions en train de décharger de la nourriture. Ils étaient à environ 150 mètres de l’hôpital. Le bruit était si fort que nous en avons eu mal aux oreilles. Après quelques minutes, de nombreuses personnes blessées sont arrivées à Nasser, certaines portées par des gens, à pied, d’autres dans des ambulances ou des voitures privées. Au total, huit personnes ont été tuées, dont deux petits garçons de 4-5 ans, et 80 ont été blessées, dont 20 ont dû être opérées. Le lendemain matin, nous avons examiné un petit garçon de 10 ans qui avait été blessé par le souffle de l’explosion, juste en traversant la rue. 

Dans chaque couloir, il y a des patients et des patientes sur des brancards ou sur des matelas. Dans chaque coin, dans chaque salle d’attente et même dans la cour, il y a des tentes, des personnes qui sont venues se réfugier à l’hôpital.

Les gens souffrent dans leur grande majorité de blessures liées à des explosions, beaucoup de blessures orthopédiques, avec des fractures ainsi que des tissus mous abîmés tout autour. Ils ont déjà subi plusieurs opérations chirurgicales. Certains sont blessés, mais aussi brûlés à cause des explosions.

Nous avons vu beaucoup de gens venir en famille, avec plusieurs personnes blessées. Les autres membres de leurs familles ont été tués. Nous voyons ceux qui ont survécu même s’ils sont blessés.

Nous avons vu beaucoup d’enfants, blessés physiquement mais aussi traumatisés par ce qu’ils ont vécu. »

18 janvier 2024 | registre MSF

Nasser : bombardements violents et tirs de chars la nuit. Le personnel, les patients et les patientes sont terrifiés.

Le même jour, l’armée israélienne bombarde un complexe résidentiel abritant l’équipe médicale d’urgence (EMT) de l’organisation International Rescue Committee (IRC), ainsi que des membres de Medical Aid for Palestinians (MAP) et leurs familles. La présence des équipes sur place était connue des forces israéliennes. À la suite de l’attaque, l’EMT est contrainte de suspendre ses activités médicales à l’hôpital Nasser.

21 janvier 2024 | registre MSF

Nasser complètement encerclé par les troupes. Bombardements violents et combats tout autour de l’hôpital.

Beaucoup de personnes ont été blessées ou tuées en essayant de quitter l’hôpital. La première fois que l’armée israélienne a demandé aux gens qui avaient entendu l’avertissement d’évacuer les 21 et 23 janvier, la plupart de ceux qui ont évacué sont revenus à l’intérieur de l’hôpital. Ils ont raconté qu’il y avait beaucoup de personnes blessées et mortes dans la rue, près de la rue Bahar.

Selon moi, ce n’était plus possible de partir de l’hôpital après le 21 janvier, parce qu’il a été assiégé en moins de quatre heures.

23 janvier 2024 | registre MSF

Nouvel ordre d’évacuation à Khan Younis, dont les hôpitaux Nasser, Al-Amal et l’hôpital jordanien. Nasser au cœur de combats violents, personne ne peut sortir, ni entrer. Toujours beaucoup de victimes, le bloc opératoire ne fonctionne pas.

Le même jour, trois membres du personnel de MSF tentent d’évacuer l’hôpital sans y parvenir. Ils rapportent des tirs et des explosions tout autour de l’hôpital.

25 janvier 2024 | registre MSF

Les ambulances ne peuvent pas accéder à Nasser. Il reste trois jours de carburant.

26 janvier 2024 | déclaration des forces israéliennes à propos des opérations militaires en cours à Khan Younis

« Les forces de défense israéliennes (FDI) sont en contact avec les directions d’hôpitaux et le personnel médical, par téléphone et sur le terrain, pour s’assurer que les hôpitaux restent opérationnels et accessibles. Les FDI ont fait savoir qu’il n’y avait aucune obligation d’évacuer les hôpitaux. Au contraire, nous avons réitéré l’importance de sauvegarder et de protéger ces hôpitaux, afin qu’ils puissent continuer à fournir des services médicaux à la population de Gaza. Les FDI ont été informées de l’importance d’opérer avec prudence dans la zone des hôpitaux et des abris désignés avant leur opération contre le Hamas dans cette zone.

Les gens de Gaza qui souhaitent quitter les hôpitaux Nasser et Al-Amal, comme beaucoup ont choisi de le faire, peuvent passer par le couloir de la rue Al-Bahar, située du côté ouest des hôpitaux. »

Photographie prise à l’intérieur de l’hôpital Nasser, Gaza, 13 mars 2024 © MSF

26 janvier 2024 | témoignage d’un membre du personnel MSF piégé dans l’hôpital Nasser

« Il n’y avait plus de personnel aux urgences, à part quelques infirmières et infirmiers, et pas de lits, seulement quelques chaises. Nous avons emmené les patients et les patientes aux urgences pour leur prodiguer les premiers secours. Nous nous sommes débrouillés avec ce que nous avions. Nous avons essayé d’arrêter les hémorragies et avons procédé sur place au triage des patients et des patientes. C’était un moment horrible, qui m’a beaucoup affecté psychologiquement.

(…) Je me suis rendu dans la salle d’opération pour traiter quelqu’un et j’ai demandé aux quelques membres du personnel encore sur place de me fournir des compresses abdominales. Ils m’ont répondu qu’ils n’en avaient pas en réserve et que celles qu’ils avaient avaient déjà été utilisées sur plusieurs personnes. Ils les utilisent une fois, puis pressent le sang, les lavent, les stérilisent et les réutilisent pour un autre patient. C’est ça, la situation dans la salle d’opération de Nasser en ce moment. »

Photographie prise à l’intérieur de l’hôpital Nasser, Gaza, 13 mars 2024 © MSF

29 janvier 2024 | registre MSF

L’OMS a livré des fournitures médicales à l’hôpital Nasser.

30 janvier 2024 | registre MSF

L’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) a envoyé du carburant à Nasser.

6 février 2024 | registre MSF

Combats violents à Khan Younis, près de Nasser. L’hôpital est toujours en état de siège. Environ 450 personnes blessées, 300 membres du personnel médical, 10 000 personnes déplacées.

8 février 2024 | registre MSF

Nasser encerclé par des chars. Des tireurs embusqués tirent en direction de l’hôpital. Une infirmière blessée (balle dans la poitrine).

11 février 2024 | registre MSF

Nasser encerclé par des chars. Des tireurs embusqués tirent en direction de l’hôpital (un homme tué à l’entrée de l’hôpital).

13 février 2024 | registre MSF

Nasser : ordre d’évacuation donné par l’armée israélienne aux personnes déplacées. 402 patients et patientes, 35 avec dialyse, 18 en soins intensifs, 3 en soins intensifs néonataux, 3 ou 4 femmes post-accouchement et un peu moins de 200 sur des civières. Trois personnes ont été tuées, 10 autres blessées à la suite de tirs israéliens à l’intérieur du complexe médical.

Ce jour-là, un bulldozer militaire israélien détruit le portail de l’entrée nord de l’hôpital, suivi d’un char. Les soldats sur place ordonnent aux personnes déplacées de sortir de l’hôpital. Un prisonnier palestinien menotté vêtu d’une combinaison blanche est par la suite envoyé par l’armée pour leur ordonner à nouveau d’évacuer. Les images disponibles en ligne, reprises par plusieurs médias, montrent qu’il a ensuite été exécuté.

Nuit du 14 au 15 février 2024 | registre MSF

Tir sur le service orthopédique, un mort et huit personnes blessées. Les forces israéliennes sont entrées dans Nasser, elles ont détruit des équipements, des ambulances. Le personnel a commencé à évacuer l’hôpital au milieu de la nuit. Un collègue MSF a été arrêté par les forces israéliennes.

15 février 2024 | mise à jour rapide no 119 du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU

« Au moment où nous écrivons ce texte, le 15 février, les forces israéliennes seraient entrées dans l’hôpital Nasser, à Khan Younis, notamment dans la maternité, selon le ministère de la Santé à Gaza. L’armée israélienne affirme que le Hamas retient des otages à l’intérieur de l’hôpital ou y détient les corps d’Israéliens et d’Israéliennes.

Le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a indiqué que deux visites prévues au cours des quatre derniers jours pour accéder à l’hôpital avaient été refusées et que son équipe n’avait plus de contact avec le personnel hospitalier. »

16 février 2024 | registre MSF

Cinq patientes et patients sont décédés faute de soins, en raison du manque d’électricité. Les forces israéliennes ont arrêté 20 personnes.

17 février 2024 | registre MSF

Forces israéliennes toujours à l’intérieur de Nasser. Pas d’eau, pas de nourriture. Évacuation de 14 patients et patientes (Nations Unies/Palestine Red Crescent Society). Une équipe de l’OMS n’a pas été autorisée à rentrer dans l’hôpital pour évaluer l’état de santé des patients et les besoins médicaux urgents, bien qu’elle ait atteint l’enceinte pour livrer du carburant. Combats toujours en cours dans la zone autour, les ambulances n’ont pas pu entrer dans l’enceinte, les patients sont transportés à pied.

20 février 2024 | témoignage de Guillemette Thomas, coordonnatrice médicale

« La situation à l’hôpital Nasser est un nouvel exemple de la façon dont les établissements de santé sont détruits les uns après les autres dans cette guerre. Alors même qu’il leur avait été dit qu’ils pouvaient rester à l’intérieur de l’hôpital, le personnel médical, les patients et les patientes se sont retrouvés piégés dans cet endroit où ils auraient dû être en sécurité. »

21 février 2024 | mise à jour rapide no 123 du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA)

« Le 20 février, les ambulances de la Palestine Red Crescent Society (PRCS) ont évacué 21 personnes blessées de l’hôpital Nasser, à Khan Younis, vers deux hôpitaux de campagne à Rafah, en collaboration avec l’OMS et OCHA. Les deux jours précédents, les mêmes organisations avaient évacué 32 personnes dans un état critique de l’hôpital Nasser vers trois autres hôpitaux de Gaza, à la suite du siège et du raid de l’armée israélienne dans le complexe hospitalier. »

Photographie prise à l’intérieur de l’hôpital Nasser, Gaza, 13 mars 2024 © MSF

22 février 2024 | registre MSF

Les forces israéliennes se sont retirées de l’hôpital Nasser. Évacuation de patients et de patientes vers Deir el-Balah, Khan Younis et Rafah. Pas d’eau, pas d’électricité, pas de nourriture. Des déchets et des eaux usées partout.

27 février 2024 | registre MSF

Évacuation de 72 cas critiques. 120 patients et patientes toujours à l’intérieur. 70 membres du personnel de santé toujours détenus.

12 mars 2024 | La BBC publie des images vidéo vérifiées montrant des personnes agenouillées et détenues par l’armée israélienne à la suite du raid sur l’hôpital Nasser.

17 mars 2024 | Léo Cans, directeur de projet pour la Palestine, décrit sa visite des hôpitaux d’Al-Shifa et de Nasser.

L’un des murs a été endommagé, c’est le seul du quatrième étage, un mur du service orthopédique.

L’un de nos collègues, un chauffeur, s’est mis à pleurer lorsqu’il a vu la rue et le bâtiment, ce qu’il en restait. Un autre a failli s’évanouir à son arrivée à l’hôpital, il ne pouvait plus regarder ni parler. Il lui a fallu du temps pour réaliser ce qu’était devenu l’hôpital Nasser aujourd’hui.

Selon l’OMS, seul un tiers des hôpitaux de Gaza est encore partiellement fonctionnel. Entre le 7 octobre 2023 et le 12 mars 2024, 410 attaques contre le système de santé ont été signalées par le ministère de la Santé et l’OMS[iii].

MSF réitère son appel à un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza. C’est la seule solution pour mettre fin aux massacres de personnes civiles et permettre aux acteurs humanitaires de se déployer, afin de répondre aux besoins immenses d’une population terrifiée, affamée et épuisée.


[i] Le registre MSF est un document interne dans lequel sont consignées des informations quotidiennes relatives à la gestion des projets de MSF. On y trouve par exemple les activités médicales des équipes travaillant dans les établissements de santé de Gaza, les incidents de sécurité, les évacuations de patients et de patientes par Rafah ou encore les approvisionnements en carburant. Il reflète les échanges d’informations entre l’équipe de coordination à Jérusalem qui le tient à jour et les équipes à Gaza.  

[ii] Il s’agissait de Dina, 13 ans, amputée des deux jambes et orpheline à la suite d’une frappe aérienne sur sa maison située dans le nord de Gaza.

[iii] Gaza Health Cluster, rapport bi-hebdomadaire, 20 mars 2024.