Le 20 mars, le secrétaire général de MSF a visité l’hôpital de campagne indonésien de Rafah, soutenu par MSF, à Rafah, dans la bande de Gaza. Sur cette photo, il rencontre Aysha Khalaf, superviseur du contrôle des infections et de la prévention, ainsi que sa collègue. Gaza, 2024. © MSF
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Crise nutritionnelle à Gaza : quatre expériences de MSF qui nous inquiètent profondément

Médecins Sans Frontières (MSF) est profondément préoccupée par les rapports de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations Unies qui soulignent les niveaux de faim catastrophiques qui affligent les habitants de Gaza, en particulier dans le nord. Bien que la présence de MSF dans le nord de Gaza soit restreinte, notre expérience clinique directe à Rafah ainsi que les témoignages de nos collègues palestiniens qui confirment l’accès très limité aux denrées alimentaires de base, à l’eau et à d’autres fournitures essentielles, nous inquiètent vivement.

Voici quatre expériences directes de MSF à Gaza qui illustrent pourquoi la communauté internationale devrait être gravement préoccupée par la crise nutritionnelle qui prend de l’ampleur là-bas.  

1 . Des collègues de MSF dans le nord de Gaza décrivent des pénuries alimentaires extrêmes et ne reçoivent aucune assistance

En février, des membres du personnel de MSF dans le nord de Gaza ont fait savoir à nos équipes qu’à défaut d’avoir suffisamment de quoi se nourrir, ils n’avaient d’autre choix que de manger de la nourriture pour animaux pour survivre. Ils ont également signalé le manque d’eau et sa mauvaise qualité globale, ce qui cause des maladies.

Israa Ali, une interprète de MSF basée à Jabalia, dans le nord de Gaza, a expliqué comment la guerre et la pénurie alimentaire faisaient peser un fardeau psychologique insupportable sur sa famille : « Mon enfant [m’a dit]… ‘Maman, j’ai faim, je veux prendre mon petit-déjeuner’.  En lui préparant son repas avec les maigres aliments à ma disposition, j’ai commencé à m’en vouloir d’avoir mis des enfants au monde pour les élever dans des conditions aussi terribles et les exposer à des guerres incessantes – en particulier cette guerre misérable. »  

La grave situation alimentaire est l’horrible conséquence d’une série de décisions scandaleuses prises par les autorités israéliennes dans le cadre de cette guerre : une campagne de bombardements et de pilonnages incessants, un siège complet imposé à l’enclave nord, ainsi que les obstacles bureaucratiques et l’absence de mécanismes de sécurité pour assurer une distribution alimentaire sûre. Dans le même temps, la destruction systématique des moyens de subsistance tels que l’agriculture, l’élevage et la pêche vient aggraver la situation en forçant les gens à survivre avec les minimes quantités d’assistance alimentaire qui arrivent dans le nord au compte-goutte.

2. Hausse des cas de malnutrition aiguë chez les femmes et les enfants dans les établissements de santé soutenus par MSF à Rafah

Des femmes palestiniennes déplacées et vivant dans des tentes, dans le quartier Al-Shaboura de Rafah, lavent des vêtements et de la vaisselle. Rafah, qui accueillait autrefois 300 000 personnes, en compte aujourd’hui 1,5 million venues de toute la bande de Gaza. Aggravées par le froid hivernal, les conditions de vie dans la zone sont désespérées, en raison notamment de la surpopulation et du manque d’eau potable, de toilettes, de douches et de systèmes d’égouts. Palestine, janvier 2024. © MSF

« Ce que nous voyons dans le sud de Gaza, c’est une augmentation des taux de malnutrition. Le centre de soins de santé primaires à Al-Mawasi que j’ai visité à mon arrivée comptait 70 patients dans son programme d’alimentation ambulatoire. Et ces chiffres augmentent de jour en jour », a déclaré Chris Lockyear, secrétaire de MSF International lors de sa visite à Gaza en mars 2024. « À l’hôpital Al-Aqsa, la situation était terrible : les équipes devaient décider entre donner des lits aux personnes souffrant de blessures traumatiques ou les donner à des enfants malnutris. Les chiffres ne cessent d’augmenter et cela est extrêmement inquiétant et alarmant, surtout quand on voit comment l’acheminement de nourriture à Gaza est extrêmement, extrêmement compliqué. » 

Au cours des derniers mois, MSF a commencé à dépister la malnutrition chez les femmes et les enfants dans les établissements de santé que nous soutenons à Rafah. Entre janvier et février, nous avons recensé 47 cas de malnutrition aiguë modérée et 16 cas de malnutrition aiguë sévère chez des enfants de moins de cinq ans. Sophia Pineiro, responsable des activités infirmières de MSF à Rafah, affirme que les courbes de malnutrition « sont à la hausse chaque semaine ». 

Nous savons que ces données ne représentent qu’une infime partie de la réalité : de nombreuses personnes à Gaza n’ont pas accès aux services de dépistage de MSF, et beaucoup d’autres vivent dans le gouvernorat du nord de Gaza, où aucun service de surveillance n’est disponible. Le manque de dépistage de la malnutrition est une lacune majeure dans le système de santé effondré de Gaza, qui s’explique par le fait que de nombreux médecins à Gaza n’ont pas d’expérience directe à identifier et à traiter des cas de malnutrition. Cet état de santé était absolument impensable à Gaza avant octobre 2023, ce qui démontre comment la campagne de bombardements de cinq mois combinée à un siège complet de Gaza ont considérablement dégradé la santé générale de la population.  

3. Des camions de MSF pris d’assaut avant leur arrivée par des personnes affamées

La ville de Rafah, située à la frontière égyptienne, comptait autrefois 300 000 habitants. Elle accueille aujourd’hui 1,5 million de personnes déplacées de toute la bande de Gaza, qui ont du mal à trouver de l’eau potable pour boire, cuisiner ou se laver. Les conditions de vie des gens de cette partie de l’enclave sont désespérantes, en raison de la surpopulation et du manque d’eau potable, de toilettes, de douches et de systèmes d’égouts, aggravés par le froid hivernal. Gaza, 2024. © MSF

En décembre 2023, MSF a été témoin du désespoir aigu de la population civile pour de la nourriture lorsque sept tonnes d’aliments ont été prises à même notre camion dans le chaos total par des membres de la communauté dans la région d’Al Mawasi, dans le gouvernorat de Rafah, dans le sud de Gaza, avant que le camion ne puisse atteindre les locaux de MSF. Pour nous, cet événement témoigne avant tout du désespoir alimentaire extrême de la population civile – une conséquence de la pénurie alimentaire persistante ainsi que du prix élevé des denrées. Nous savons que le prix des aliments a grimpé en flèche depuis octobre, ce qui rend l’achat du peu de nourriture disponible encore plus difficile. Des produits comme le poulet, le combustible nécessaire à la cuisson, la viande de vache et le riz ne sont presque jamais disponibles.  
 
Il est impensable que la population civile ait atteint des niveaux de faim si extrêmes qu’elle est forcée de prendre de la nourriture dans des camions avant qu’ils puissent se rendre à destination – dans ce cas, notre camion transportait de la nourriture d’urgence pour le personnel de MSF. Cette expérience nous montre tristement à quel point la situation est difficile et que Gaza a besoin de recevoir un flot beaucoup plus important d’articles de première nécessité et de fournitures humanitaires.

4. Les expériences de MSF se poursuivent; d’immenses obstacles freinent l’entrée d’assistance humanitaire à Gaza par voie terrestre

Il est toujours difficile de livrer des fournitures à Gaza en raison des barrières administratives, des restrictions de mouvement et de l’imposante file de camions coincés à la frontière. Par ailleurs, MSF a eu un accès très limité au nord de Gaza où nous n’avons pu livrer que des quantités dérisoires de carburant et de fournitures médicales à certains des établissements de santé que nous soutenions dans le passé, notamment aux hôpitaux Al-Awda et Al-Shifa.

MSF a fait des demandes répétées aux autorités israéliennes pour qu’elles lèvent ce siège inhumain et permettent à une assistance humanitaire substantielle d’entrer dans Gaza de manière sûre et sans entrave. Par définition, l’assistance humanitaire est inconditionnelle et devrait être autorisée et fournie sur la base des besoins uniquement.

Permettre le passage terrestre de l’assistance aux postes frontaliers existants est de loin le moyen le plus efficace de s’assurer qu’elle atteigne les personnes dans le besoin. Les solutions alternatives pour livrer l’assistance alimentaire – par largage aérien ou par livraison maritime, par exemple – ne peuvent en aucun cas remplacer un acheminement continu par camion de l’assistance nécessaire pour répondre aux immenses besoins. Nous avons déjà vu comment la distribution d’assistance par parachutage pouvait constituer un risque pour une population en détresse, en particulier dans les situations de guerre et de chaos : le 8 mars, cinq personnes ont été tuées et 10 autres blessées à Gaza lorsqu’elles ont été frappées par une palette d’articles de première nécessité, dont de la nourriture, après que le parachute attaché à la palette ne se soit pas déployé correctement.  


Sur la base de ces expériences, MSF réaffirme ce que nos collègues de l’OMS et de l’ONU ont dit haut et fort au cours des dernières semaines : le risque de malnutrition généralisée à Gaza est bien réel. Selon notre expérience médicale directe et les témoignages de nos collègues, nous savons que tous les facteurs sont réunis : pénurie de nourriture, manque de fournitures essentielles, conditions de vie sordides et manque d’accès à des soins de santé appropriés. Les femmes enceintes, les mères allaitantes, les jeunes enfants et les personnes âgées sont particulièrement vulnérables.  
 
Nous continuons d’appeler à un cessez-le-feu immédiat et durable à Gaza.