Survivre à Gaza sous le blocus : espoirs et dangers
Plus d’un mois depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le gouvernement israélien et le Hamas, les Palestiniens de la bande de Gaza se sentent en situation d’insécurité et redoutent la reprise des hostilités.
Âgé de douze ans, Mohanned se trouvait dans la voiture avec sa tante le 11 mai 2021 quand une frappe aérienne a touché le quartier qu’ils traversaient. Le garçon a survécu à l’explosion mais il a été blessé à la tête, au bras et à l’abdomen par des éclats d’obus. « Regardez-le,» dit son père, Elsabea Musabeh, en relevant le t-shirt de son fils pour montrer les larges épaisseurs de pansements de gaze enveloppant sa taille. « Ce n’est qu’un enfant. Qu’a-t-il fait pour mériter cela?”
« Il y a la guerre ici tous les deux ou trois ans, » poursuit Elsabea.« On a l’habitude – ainsi va la vie. On ne s’apitoie plus sur la destruction de bâtiments. On se soucie uniquement de nos enfants. »
La santé mentale se détériore
Plusieurs semaines se sont écoulées depuis que Mohanned est sorti de l’hôpital. Si certaines de ces blessures sont guéries, le traumatisme psychologique de l’expérience est très présent. Il n’aime pas parler de l’incident, car cela ravive des souvenirs, précise Elsabea. « Il se rappelle de tout. »
Pour la majorité des Palestiniens à Gaza, les 11 jours de bombardement intensifs israéliens en mai n’étaient pas une première. Les frappes aériennes, ils connaissent. Craindre pour sa vie, voir sa maison en ruine et faire face à des difficultés économiques après avoir vécu de telles expériences est un traumatisme mental qui a des conséquences à long terme pour de nombreuses personnes, surtout quand il se superpose à un traumatisme préexistant provenant d’épisodes de violence antérieurs et à une vie sous blocus depuis 15 ans. La dernière offensive a sérieusement aggravé la crise de santé mentale à Gaza et a rendu la situation encore plus insupportable pour la population.
Lorsque sa maison a été bombardée la nuit, Salma Shamali, 36 ans, son mari et ses sept enfants ont réussi de justesse à s’échapper.« Nous avons entendu au moins 15 explosions, » raconte Salma. « Nous étions tous dans une même pièce. Les enfants dormaient. Puis une partie de la maison s’est effondrée sur nous. Nous étions désorientés. Personne ne nous avait dit ni prévenu qu’il fallait évacuer. » Il leur a fallu plusieurs heures à tituber dans le noir pour se mettre en sécurité dans une gare routière située à proximité où ils s’y sont réfugiés pendant cinq heures. De la gare routière, ils se sont dirigés vers une école. Quand la famille est retournée chez elle une semaine plus tard, sa maison était lourdement endommagée. Elle a dû en louer une autre.
Malgré l’accord de cessez-le-feu du mois dernier, le gouvernement israélien a mené depuis lors des frappes aériennes sur la bande à deux reprises, et le bruit perçant des drones survolant Gaza n’a pas cessé. Ce bruit tourmente les gens toutes les nuits, les tenant éveillés et sur le qui-vive. Les enfants de Salma se cachent dès qu’ils entendent ce bruit maintenant. « Nous ne voulons pas la guerre, » disent-ils, en pleurant. Elle essaie de garder son calme et ne pas perdre espoir.
Amira Karim, conseillère en santé mentale prodiguant un soutien psychologique aux patients à la clinique de Médecins Sans Frontières (MSF) dans la ville de Gaza, explique que les récits de patients touchés par les récents bombardements – et tout particulièrement ceux des enfants – ont fait émerger chez elle des souvenirs traumatiques. « Je me rappelle la peur extrême de la mort, » reconnaît Amira. Je me rappelle à quel point mes enfants me serraient fort quand des bombes explosaient près de chez moi à minuit. « Cela ne ressemblait en rien à ce que nous avions connu auparavant. Nous avions l’impression de vivre nos derniers instants. »
Toute la population est exposée
À Gaza, tout le monde est sans cesse exposé aux causes des traumatismes psychologiques, y compris les professionnels de la santé. Leur résilience est mise à l’épreuve au quotidien en venant en aide aux autres tout en faisant face eux-mêmes à des expériences traumatisantes.
« Pendant la dernière escalade de violence, j’ai fait de mon mieux pour soutenir toutes les personnes que je parvenais à joindre – mes patients, collègues, amis et ma famille, » raconte Mahmoud Zeyad Awad, psychologue chez MSF. « Et cela, tandis que je vivais moi-même la même expérience et faisais le deuil de deux de mes amis. Ce qui me donne la force de continuer à faire ce travail, c’est de constater que les patients se sentent mieux, mais j’ai peur de manquer à mon devoir envers eux ou de devenir moi-même un patient. »
« Tout le monde à Gaza est touché, » affirme Juan Paris, psychiatre à MSF. Selon les rapports, 40 pour cent des jeunes Gazaouis souffrent de troubles de l’humeur, 60 à 70 pour cent de troubles de stress post-traumatique et 90 pour cent d’autres troubles liés au stress. « Le nombre de suicides et de tentatives de suicide a été en constante augmentation en 2020, » fait remarquer Juan, « Mais ils sont clairement sous-signalés en raison de la stigmatisation des problèmes de santé mentale dans la société palestinienne. »
Pour soutenir les patients, le personnel et leur famille, MSF a renforcé ses services de santé mentale à Gaza. Les Gazaouis sont résilients, » fait observer Juan. « Leur résilience est le fruit d’un profond attachement à leur communauté, mais elle est mise à rude épreuve au quotidien, car ils sont exposés de nouveau à des traumatismes. C’est ce qu’ils doivent endurer pour pouvoir aider les autres. »