Ce n’est pas la guerre de quelqu’un d’autre
Annie Thibault est récemment rentrée au pays, après quatre semaines de travail avec MSF à Gaza. Son rôle de responsable de l’administration couvrait les ressources humaines et les finances, ainsi que le plaidoyer. Basée à Rafah, Annie a visité des établissements et des installations de santé dans le sud de Gaza. Elle est originaire de Saint-Sauveur, au Québec.
La question la plus fréquente que l’on me pose depuis mon retour de Gaza, début mars, est la suivante : “Est-ce que c’est aussi grave qu’on le dit?” Je rêve souvent d’avoir le temps et l’énergie de répondre à chaque personne par un récit détaillé et honnête, comme celui que vous allez lire.
Imaginez 2,8 millions de personnes civiles confinées dans une étroite bande de terre assiégée dont la taille équivaut à la moitié de celle de la ville de Toronto. Dans cette enclave, pas un seul individu n’est en sécurité, et pas un pouce de terrain n’est à l’abri. Voilà ce qu’est Gaza aujourd’hui.
Imaginez que 85 % des gens qui vivent sur ce petit territoire soient contraints de fuir leur maison. Que sept de ces maisons sur dix soient réduites en cendres. Que plus de la moitié du territoire fasse l’objet d’un ordre d’évacuation par une puissance militaire étrangère. Imaginez le reste de la zone se retrouvant alors comme l’un des espaces les plus densément peuplés de la planète. Voici Gaza aujourd’hui.
Imaginez un endroit où les explosions viennent de la terre, du ciel et de la mer. Où le bruit constant des tirs, des bâtiments qui explosent et des drones forme la symphonie de fond. Où les champignons de fumée sont le point de vue typique de la ligne d’horizon. Voilà ce qu’est Gaza aujourd’hui.
Imaginez des établissements, des installations et des services de santé attaqués, assiégés et réduits en poussière, en totale contradiction avec le droit humanitaire international, ceux qui restent fonctionnant à 300 % de leur capacité. Des médecins contraints de voir les patients et patientes mourir par manque des fournitures médicales les plus élémentaires, des jeunes mères sortant de l’hôpital quatre heures à peine après une césarienne, des enfants subissant des interventions chirurgicales atroces sans anesthésie.
Voici donc Gaza aujourd’hui, un endroit où les êtres humains sont privés des droits les plus fondamentaux que sont l’accès à la sécurité, l’accès aux soins de santé et l’accès à l’assistance humanitaire.
Les gens sont privés de leur droit à la vie.
Depuis le début de cette guerre, la vie de chaque individu est quotidiennement menacée à Gaza. Personne n’est à l’abri, aucun endroit n’est à l’abri à Gaza. La communauté internationale a la responsabilité collective de protéger les personnes civiles et de faire respecter le droit international. Les retards insupportables dans la conclusion d’un accord de cessez-le-feu révèlent au contraire l’étonnante réticence de nombreux gouvernements internationaux à faire respecter les principes qu’ils devraient défendre. Des vies continuent d’être perdues et brisées, alors que les parties belligérantes aveuglées poursuivent leur combat à tout prix et au mépris absolu de tout semblant de règles.
Chaque jour qui passe, le monde manque totalement à son devoir envers les gens de Gaza. Nous sommes coincés dans une impasse coûteuse, incapables d’arrêter ou même de faire une pause dans cette guerre. Une guerre que personne ne gagnera.
Chaque jour qui passe, nous assistons à une grave érosion des principes établis par la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Conventions de Genève, au point qu’ils n’apparaissent plus que comme une utopie illusoire. La seule chose qui reste pour prouver que ces textes soutiennent des normes réellement réalisables est un cessez-le-feu complet et durable. C’est la seule chose qui reste à faire pour prouver que nous n’avons pas complètement perdu notre sens de l’humanité et de la responsabilité.
Alors oui, la situation est aussi grave qu’on le dit à Gaza. Et ce n’est pas la guerre de quelqu’un d’autre – ce qui se passe ici nous concerne tous et toutes. Le poids de la balance est lourd. Notre conscience collective est en jeu.
L’existence des Palestiniens et des Palestiniennes de Gaza est en jeu.
« Nous, les Palestiniens et les Palestiniennes, nous aimons la vie. Nous voulons vivre. » C’est ce que m’a dit un collègue lors de mon dernier jour à Gaza.
Arrêtez la guerre.
En 2023, Annie a travaillé avec MSF en tant que chargée des affaires humanitaires au Tchad, soutenant les personnes réfugiées du Soudan. Apprenez-en davantage sur son travail et sur la crise à laquelle sont confrontés les Soudanais au Tchad en lisant : « Adré, Tchad: là où chaos et courage se côtoient »