An MSF worker speaks to the wife of Ayoub Odeh during a home visit in Huwara on April 13, 2023.
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En toute impunité : la violence des colons contre les Palestiniens atteint des niveaux inégalés

Alors que les colonies israéliennes se multiplient et se développent dans toute la Cisjordanie, les abus commis par les colons atteignent des niveaux sans précédent. Les Palestiniennes et les Palestiniens sont plus exposés que jamais à la brutalité et à la violence que les forces israéliennes ne parviennent pas à empêcher, la facilitant même parfois. Dans les zones à forte présence israélienne, chaque famille connaît au moins une personne harcelée, attaquée ou arrêtée en lien avec une confrontation avec des colons.

La fille de Yasser Abu Markhiyeh, Janna, avait deux ans et demi lorsqu’elle a été frappée par des pierres au visage et aux jambes. Alors qu’elle était assise sur les genoux de son père qui sirotait un café, sur la terrasse de leur maison dans la ville de Hébron, en Cisjordanie, des colons israéliens des maisons voisines ont commencé à lancer des pierres vers la maison du Palestinien de 51 ans.

« L’entrée offrait une ligne de vue dégagée vers l’extérieur avant que les soldats israéliens n’érigent un mur de protection, je me suis à peine rendu compte que les colons étaient là », dit-il, faisant allusion à un mur érigé pour couper sa maison d’une rue souvent utilisée par les colons.

Les psychologues de MSF aident Yasser et Janna à faire face à l’épisode et aux attaques récurrentes auxquelles leur proximité avec les maisons des colons les confronte dans leur vie quotidienne. Aujourd’hui âgée de 7 ans, Janna souffre d’un strabisme qui a requis plusieurs interventions chirurgicales et en aura besoin d’au moins une de plus après la puberté.

Le quartier de Yasser et Janna à Tel Rumeida est un secteur particulièrement colonisé dans la zone d’Hébron connue sous le nom de H2. Cette enclave sous autorité israélienne abrite environ 700 colons vivant à proximité des résidences palestiniennes.

Bien qu’Hébron abritât déjà une petite population juive avant à la création d’Israël, l’activité de colonisation y a été particulièrement intense depuis le début de l’occupation israélienne de la Cisjordanie, en 1967. Un accord de 1997 a rendu 80 % de la ville au contrôle de l’Autorité palestinienne, tout en maintenant 20 % du territoire, H2, sous occupation israélienne afin d’étendre et de protéger les colonies établies.

La rue Shuhada, dans la vieille ville voisine, reflète l’impact des colonies sur H2. Alors qu’elle était autrefois une artère commerciale dynamique, la rue, tout comme la ville, s’est sont lentement transformée en une rue fantôme à mesure que des points de contrôle ont été érigés, que les permis de circulation sont devenus obligatoires pour les Palestiniens et les Palestiniennes et que les magasins ont été fermés les uns à la suite des autres. Le magasin de glaces du père de Yasser est l’un de ceux-là : les coûteux équipements prennent désormais la poussière depuis que les forces israéliennes l’ont fermé et lui ont interdit d’y revenir.

Des travailleurs de MSF s’entretiennent avec Jinan, dont la maison a été démolie par les forces israéliennes, à l’intérieur de la tente familiale à Douma. Territoires palestiniens occupés, 2023. © MSF

H2 est emblématique d’une tendance qui affecte l’ensemble de la Cisjordanie. Alors que le nombre de colons dans cette zone est passé de 183 000 en 1999 à 465 000 aujourd’hui (sans compter les 220 000 colons de Jérusalem-Est), le nombre de soldats israéliens affectés à leur protection augmente aussi, tout comme le nombre de restrictions que leur présence implique au quotidien pour les Palestiniens et les Palestiniennes.

Cette double présence, coloniale et militaire, crée à son tour des incidents, souvent violents, dont les Palestiniens sortent invariablement perdants avec des conséquences allant des dégâts matériels à la mort. L’augmentation des colonies en Cisjordanie a entraîné ces dernières années une augmentation constante de la violence perpétrée par des colons. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’ONU, le nombre de personnes blessées est passé de 195 en 2008 à un record de 304 en 2022. De son côté, l’ONG Première Urgence Internationale estime que le nombre d’attaques de la part des colons contre des Palestiniens a atteint 1 049 de janvier à septembre 2022, soit une augmentation de 170 % par rapport à 2017. Et il semble bien que ce nouveau record sera dépassé en 2023. Rien qu’au mois d’avril, des colons ont attaqué des bergers avec des pierres près de Ramallah, abattu 50 oliviers près de Naplouse et poursuivi deux garçons palestiniens qui faisaient paître leur troupeau dans les collines au sud d’Hébron, entre autres incidents.

« Nous constatons une forte incidence de colons attaquant des personnes quand nous fournissons des soins médicaux et de santé mentale dans la région, en particulier près des colonies comme H2 », explique Mariam Qabas, responsable de la promotion de la santé pour MSF à Hébron.

« Entre les points de contrôle, le harcèlement verbal et physique, l’emprisonnement, les dégâts matériels et les restrictions de mouvement, les Palestiniens et les Palestiniennes font face à la violence non seulement des colons, mais aussi des forces israéliennes », ajoute Mariam. Ensemble, ces composantes engendrent des troubles de la santé mentale qui se traduisent par « de nombreux cas de trouble du stress post-traumatique, de l’anxiété, de la dépression, des enfants qui ont peur d’aller à l’école, et bien plus encore. »

Mariam, 56 ans, a déjà été prise pour cible par des colons. Ces derniers lui ont jeté des pierres ainsi que sur un autre membre du personnel de MSF alors qu’ils attendaient devant la porte d’un patient, à H2. Elle se souvient s’être sentie impuissante et frustrée pour les patients et les patientes. « Comment pouvons-nous aider ces gens alors que nous ne pouvons pas nous protéger nous-même de ces attaques, même avec le gilet MSF? »

Les forces israéliennes aident les colons en prenant leur parti lors d’altercations avec les Palestiniens et les Palestiniennes, peu importe qui en est l’instigateur. Mariam, qui porte le hijab, se souvient d’une fois où elle a été prise à parti des colons qui avaient volé la plaque d’immatriculation d’un véhicule de MSF à Hébron, afin qu’ils la restituent. Un soldat se trouvant dans les parages a pointé son fusil sur Mariam et son équipe, les forçant à repartir sans la plaque. « Le problème, ici, est que vous verrez des colons et des soldats en même temps, et les soldats protègent les colons », dit-elle.

Dans le cas de Yasser, signaler l’attaque contre sa fille à la police israélienne n’a mené à rien. Il croise régulièrement les hommes qui ont caillassé sa maison : « Je les reconnais, même s’ils étaient jeunes à l’époque. Certains d’entre eux sont dans l’armée et d’autres travaillent à Megan David Adom (les ambulanciers israéliens) ». Il a une fois confronté celui qui est maintenant ambulancier au sujet de sa fille, mais celui-ci s’est contenté de minimiser l’incident, le qualifiant de banale erreur de jeunesse.

Yasser, qui travaillait autrefois comme chauffeur de taxi, avait l’habitude de garer sa voiture devant sa maison, mais il a dû commencer à la garer plus loin depuis qu’un point de contrôle est apparu près de son domicile. Yasser se souvient des premiers jours de la présence des colons, quand la rue était ouverte. Puis, quelques sacs de sable et une barricade en bois tenue par des soldats sont apparus. Désormais, un grand portail métallique limite l’accès au quartier pour les voitures, tandis que les gens qui circulent à pied doivent passer sur le côté par un tourniquet.

Maintenant, Janna et ses sœurs passent le point de contrôle et les soldats qui le gardent chaque jour pour se rendre à l’école, et la famille se retrouve isolée de la communauté. Les amis et les proches leur rendent rarement visite à cause de la présence des colons et des militaires, craignant la violence qui pourrait résulter d’une rencontre avec eux, ajoutant ainsi le fardeau de l’isolement social à celui de la violence des colons et de l’armée.

Rage et saccage au nord de la Cisjordanie

Une vue générale de la ville de Naplouse. Territoires palestiniens occupés, 2023. ©MSF

Dans la région de Naplouse, au nord de la Cisjordanie, des colonies illégales au regard du droit international ont été établies au sommet des collines de la campagne, autour de la ville. Là aussi, les incidents ont atteint des niveaux records en 2022, tandis qu’une des incursions de colons les plus spectaculaires a eu lieu en 2023. En février, des centaines de colons, certains armés de couteaux et de fusils, sont descendus des collines sur la ville voisine de Huwara, après qu’un tireur palestinien a abattu deux colons. Le raid a conduit à des violences aveugles qui ont fait un mort, plus d’une centaine de personnes blessées et de nombreux dégâts allant des fenêtres brisées aux voitures incendiées.

Hussam Odeh fait partie d’une génération qui n’a pas connu l’époque sans présence de colons établie à proximité. Il vit juste à côté de la rue principale de Huwara, où la circulation a considérablement augmenté ces derniers mois après que les forces israéliennes ont bloqué les routes secondaires avec de gros blocs de béton pour mieux contrôler les accès à la ville.

Bien qu’il n’ait que 15 ans, Hussam est parfaitement conscient des dynamiques de pouvoir qui prévalent en Palestine. De la fenêtre de son appartement, il peut voir des soldats sur le toit de l’immeuble d’en face, postés en hauteur pour mieux surveiller la ville. Ils font désormais partie de sa routine : « Nous les connaissons et nous pouvons les reconnaître », dit-il aux psychologues de MSF qui visitent son immeuble pour apporter un soutien en santé mentale à sa tante, dont le mari est paraplégique, et à ses jeunes cousins.

Le lycée de Hussam, l’école secondaire pour garçons de Huwara, est particulièrement proche d’une colonie. En octobre 2022, alors que Hussam et ses amis jouaient au football avant les cours, des cris et des hurlements sont parvenus à leurs oreilles. « On nous a dit que les colons attaquaient l’école. Ils avaient des fusils et des cocktails Molotov », se souvient-il. L’armée a fini par disperser les colons et a envoyé tous les jeunes chez eux, mais deux élèves ont dû passer par l’hôpital pour des coupures causées par des jets de pierre auxquels les élèves répondaient.

Hussam est défenseur droit dans l’équipe de football de Naplouse. Il avait l’habitude de franchir en transports en commun les 10 kilomètres qui le séparent du terrain de foot. Avec l’augmentation des tensions, ni lui ni ses coéquipiers de Huwarra n’ont assisté à l’entraînement depuis des mois, par crainte que les passages aux points de contrôle ne tournent mal. « Si Dieu le veut, je serai de retour pour jouer au football », espère-t-il.

Non loin de Huwara, Mustafa Mlikat, un Bédouin qui a récemment déménagé depuis Jéricho dans le village de Douma pour échapper au harcèlement des colons, déplore également l’augmentation de la violence. Selon ce berger de 50 ans, bien qu’elles n’aient jamais été agréables, les choses n’allaient pas aussi mal dans le passé. Il se souvient de l’époque où les colons des campagnes les conduisaient à la ville, lui ou d’autres Bédouins. Puis, des colons ont construit une maison à côté de la sienne. « Ils nous harcelaient tout le temps (…) ils ont construit une maison juste à côté de nous, ils ont commencé à harceler nos moutons, ils nous ont interdit d’utiliser les terres sur lesquelles nous les faisions paître. »

Les uns après les autres, les résidents de Muarrajat ont commencé à vendre leur bétail et à partir, et lui aussi. Avec une remorque improvisée montée à l’arrière de sa camionnette, il a amené son troupeau de 50 moutons et tous ses biens, et en quelques voyages, il a déménagé sur un terrain qu’il avait choisi spécialement pour son emplacement loin des colonies. L’histoire de Muarrajat n’est pas un cas isolé. Le 22 mai 2023, une communauté entière d’éleveurs près de Ramallah, Ein Samiya, a choisi de déménager avec ses 178 membres, en raison des démolitions de maisons par les forces israéliennes et de la perte de pâturages au profit des colonies.

Les communautés bédouines sont particulièrement vulnérables à la violence des colons, car en tant qu’éleveurs, leur présence fait obstacle aux colonies dans les zones rurales convoitées par les agriculteurs colons. « Ils veulent toutes les terres qu’occupent les Bédouins pour les colons. Tous les Bédouins sont concernés », dit-il.

En février 2023, les forces israéliennes ont détruit la maison que Mustafa avait construite, invoquant comme raison l’absence de permis de construire. Au milieu des décombres, contraint de vivre dans une tente qui sera invivable durant les mois d’été, il ne sait plus quoi faire. En ce jour pluvieux d’avril, le tissu de la tente claque bruyamment dans le vent, tandis que Shireen et Mirella, deux employées de MSF, utilisent des images pour aider la fille de Mustafa, Jinan, à exprimer l’impact émotionnel de la destruction de sa maison.

« La santé mentale des Palestiniens et des Palestiniennes est affectée non seulement par ces événements traumatisants, mais aussi par un état de vigilance constante, de préoccupation et de manque de certitude vis-à-vis de l’avenir qu’impose l’occupation », explique Mirella, responsable des activités de santé mentale de MSF à Naplouse.

Coincé entre des colonies en constante expansion dont les occupants se comportent de façon imprévisible, Youssef*, un Palestinien de Naplouse, se sent plus à l’aise face aux soldats qu’aux colons. « Les forces israéliennes ont l’air d’avoir quelques règles, du moins la majorité d’entre elles », explique-t-il. « Les colons ne sont pas tenus de suivre de telles règles, et s’ils se mettent en colère, qui sait ce qu’ils pourraient faire. »

À 50 ans, il a vu les colonies s’étendre et rendre son travail de chauffeur plus difficile à mesure que le nombre de routes accessibles aux Palestiniens et aux Palestiniennes diminue. Il déplore le statu quo qui prévaut en Cisjordanie depuis les accords d’Oslo de 1993. « L’occupation est à la base de tout. Sans cela, il n’y a pas de violence, pas de meurtres. »

Médecins Sans Frontières (MSF) est présente en Cisjordanie depuis 1988. À Naplouse, l’organisation gère un projet axé sur la santé mentale avec des activités de proximité à Qalqilya et à Tubas. MSF gère également un programme de santé mentale dans la ville d’Hébron. À travers des cliniques mobiles, elle offre des services médicaux en H2 et des soins de santé de base dans la ville voisine de Masafer Yatta. Un projet récemment ouvert à Jénine propose une formation sur les plans d’urgence, les interventions d’urgence et le triage des patients et des patientes.

*Le nom a été changé pour protéger la vie privée.