L’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, est aujourd’hui presque complètement détruit. Palestine, 2025. © Nour Alsaqqa/MSF
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Palestine : Lettre ouverte aux chefs d’État, aux membres des gouvernements de l’Union européenne, et aux présidents et présidentes des institutions européennes

Christos Christou, président de MSF International, et Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF, signent cette lettre au sujet de Gaza

Madame la Présidente de la Commission européenne, Monsieur le Président du Conseil européen, Madame la Présidente du Parlement européen, Mesdames et Messieurs les dirigeants européens, 

La guerre à Gaza a pu devenir l’une des guerres les plus choquantes, meurtrières et impitoyables menées contre un peuple. Les maisons, les hôpitaux, les marchés, les routes et les réseaux de distribution d’eau et d’électricité de Gaza ont tous été détruits par les forces israéliennes, non par négligence, mais de manière délibérée. Ce à quoi nous assistons, c’est l’éradication calculée des systèmes nécessaires à la vie. Il s’agit d’un nettoyage ethnique, enveloppé d’une rhétorique de la défense de la sécurité, mais exécuté au mépris total du droit international humanitaire et des droits de la personne.  

Les atrocités quotidiennes à Gaza ne se déroulent pas dans l’ombre. Elles se déroulent sous nos yeux. Elles sont d’une brutalité éhontée. 

Depuis plus de 20 mois, les autorités israéliennes mènent une campagne punitive contre les Palestiniennes et les Palestiniens de Gaza. Chaque jour, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) assistent à ce qui s’apparente à des actes génocidaires perpétrés délibérément par les forces israéliennes. Il s’agit notamment de massacres, de la destruction d’infrastructures civiles vitales et des blocages empêchant l’accès à la nourriture, à l’eau, aux médicaments et à d’autres fournitures humanitaires essentielles. Israël détruit méthodiquement les conditions nécessaires à la vie des Palestiniens et Palestiniennes. 

Une récente enquête rétrospective sur la mortalité menée par MSF et Epicentre, sa branche dédiée à l’épidémiologie, a montré que près de 2 % des membres de notre personnel à Gaza et de leurs familles sont décédés depuis le 7 octobre 2023. Les trois quarts d’entre eux ont succombé à des blessures liées à la guerre. Ce ratio est cohérent avec les chiffres du ministère de la Santé à Gaza, qui indiquaient que 55 000 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza en date du 4 juin de cette année. Dans l’enquête de MSF, 40 % des personnes décédées des suites de leurs blessures étaient âgées de moins de 10 ans. Ce mépris pour la vie des personnes civiles montre que la guerre menée par Israël à Gaza est dirigée contre les Palestiniennes et les Palestiniens dans leur ensemble. 

Le 11 juin, la clinique Al Mawasi, soutenue par MSF, a reçu 32 personnes blessées, dont trois sont décédées à leur arrivée. Elles avaient été abattues alors qu’elles se rendaient sur un site de distribution de nourriture géré par la fondation humanitaire de Gaza. 

Il ne s’agit pas d’un incident isolé. 

Trois jours plus tôt, les équipes de l’hôpital Nasser avaient reçu 40 personnes, dont la plupart souffraient de blessures par balle. Il s’agit du principal hôpital de référence pour des milliers de personnes dans le sud de la bande de Gaza. Il est à peine capable de continuer à fonctionner, en raison des ordres d’évacuation répétés et des restrictions de mouvement imposées au personnel, aux patientes et aux patients. Les organisations humanitaires ont mis en place des hôpitaux de campagne pour combler les besoins, mais ils ne peuvent en aucun cas remplacer les hôpitaux traditionnels. Ces dernières semaines, les équipes de MSF ont admis plus de 500 personnes nécessitant des soins à l’hôpital Nasser. Elles ont également aidé le personnel médical à faire face à l’afflux répété de gens blessés lors des attaques et des bombardements incessants.  

La fondation humanitaire de Gaza a lancé ses activités le 27 mai, dans le cadre d’un plan israélo-américain qui instrumentalise l’aide. Depuis, des centaines de Palestiniennes et de Palestiniens ont été soignés dans des hôpitaux, et des dizaines ont été tués, après avoir été pris pour cible alors qu’ils attendaient de recevoir des biens essentiels à leur survie. Un de nos collègues à Gaza a rapporté que certaines personnes rentraient de ces sites de distribution avec un sac de farine, d’autres avec un linceul. 

L’assistance humanitaire est en train d’être instrumentalisée. Elle sert de levier pour déplacer de force des personnes, servir des objectifs militaires, ou est totalement bloquée. L’aide n’est pas une monnaie d’échange. C’est un moyen de survie. La refuser constitue une punition collective, un crime de guerre. 

Depuis octobre 2023, les soins de santé ont été constamment attaqués. Le personnel de MSF, les patientes et les patients ont été contraints de quitter au moins 18 structures de santé différentes. Ils ont fait face à plus de 50 incidents violents, notamment des frappes aériennes contre des hôpitaux, des tirs d’obus sur des abris pourtant désignés comme sûrs, des incursions dans des centres médicaux, et des convois pris pour cible. Onze de nos collègues ont été tués. Nous ne sommes pas les seuls à avoir vécu ces attaques; elles touchent l’ensemble du secteur humanitaire. Elles témoignent d’un mépris systématique pour le droit international humanitaire, notamment de la résolution 2286 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la protection de la mission médicale. 

Comme de nombreuses organisations, MSF a appelé à plusieurs reprises toutes les parties au conflit, incluant le Hamas, à un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, à un accès humanitaire sans entrave et au respect du droit international humanitaire, incluant la protection du personnel et des installations médicales. Pourtant, cette offensive militaire contre un peuple assiégé fait rage, chaque jour plus brutale. 

L’Union européenne et les gouvernements européens disposent des moyens politiques, économiques et diplomatiques nécessaires pour exercer une pression réelle sur Israël. Ils peuvent et doivent l’amener à mettre fin à cette offensive et à ouvrir les points de passage frontaliers, afin de permettre l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire dans la bande de Gaza. Ces leviers ne sont pas théoriques. Ils peuvent être utilisés efficacement pour défendre le droit international et protéger les personnes civiles. 

L’Union européenne et nombre de ses leaders ont récemment choisi de réprimander Israël, mais ces paroles sonnent creux. Ils ne prennent pas les mesures concrètes nécessaires pour mettre fin au massacre et continuent hypocritement à fournir à Israël des armes qui tuent, brûlent ou handicapent à vie les personnes que soignons. Cela doit cesser. 

Il n’a jamais été temps pour l’hésitation et les doubles standards inhumains. Vos paroles et vos actions sont un test de votre crédibilité et de votre leadership. Le moment est venu de définir votre héritage et de déterminer si les lois destinées à protéger les personnes civiles en temps de guerre ont encore un sens. Cela exige du courage politique, de la responsabilité juridique et d’un engagement moral. L’ampleur de la souffrance à Gaza exige plus que des discours creux. 

Tout retard, toute équivoque et toute politique qui permet à la machine de dévastation de poursuivre son œuvre en toute impunité est un acte de complicité. 

Nous demandons instamment à l’Union européenne et à ses 27 États membres d’agir de manière décisive et d’utiliser enfin l’influence qu’ils ont sur Israël afin de : 

LEVER LE SIÈGE 

Le blocage de l’assistance vitale n’est pas une mesure de sécurité légitime, c’est un crime de guerre. Les allégations de détournement de l’aide ne sauraient justifier la privation d’assistance à plus de deux millions de personnes. Il s’agit d’une punition collective. Chaque retard coûte des vies. 

DÉFENDRE LACTION HUMANITAIRE 

Rejeter tout mécanisme qui instrumentalise l’aide ou utilise l’assistance humanitaire comme monnaie d’échange. L’aide doit être basée sur les besoins. Les politiques qui la subordonnent à une stratégie militaire ne sont pas seulement cyniques, elles sont meurtrières. 

DES ACTIONS PLUTÔT QUE DES MOTS 

De nombreux gouvernements européens ont évoqué les atrocités effroyables perpétrées par Israël à Gaza, mais ils continuent d’envoyer les armes qui tuent les patientes, les patients et nos collègues. Les gouvernements doivent mettre fin à leur complicité dans cette campagne de nettoyage ethnique. 

RENFORCER LES ÉVACUATIONS MÉDICALES 

Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la Santé, environ 13 000 personnes, dont plus de 4 500 enfants, ont besoin de toute urgence d’une évacuation médicale, avec le droit au retour. Pourtant, malgré ces besoins et la capacité avérée de l’Union européenne, seules quelques centaines de personnes ont été accueillies par les États membres européens. Les États membres doivent faire davantage pour montrer que la solidarité n’est pas qu’une question de mots. 

Vous pouvez et devez agir maintenant. 

Nous vous prions de croire à l’expression de nos sentiments distingués, 

Dr Christos Christou, Président de MSF International 

Christopher Lockyear, Secrétaire général de MSF International