Palestine : une goutte d’eau dans l’océan. Témoignage sur les évacuations médicales à Gaza
Hani Isleem, responsable de projet de MSF, a accompagné 13 enfants et leur famille lors de leur évacuation de Gaza vers la Suisse. Il a pu constater de ses propres yeux toute l’ampleur de leurs traumatismes et de leur souffrance, mais aussi de leur joie.
En tant que médecin travaillant pour Médecins Sans Frontières (MSF), j’ai participé à 15 évacuations médicales de patientes et de patients venant de Gaza vers l’Égypte et la Jordanie. En tant que partenaire des autorités suisses et de l’Union européenne, MSF a fourni son soutien lors d’évacuations médicales vers la Suisse, l’Irlande, le Royaume-Uni et l’Espagne.
La liste officielle des évacuations médicales de l’Organisation mondiale de la Santé compte 16 500 personnes, et ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. De nombreuses autres personnes ont besoin d’être évacuées. Environ la moitié des gens sur cette liste sont des personnes qui ont survécu au génocide et à des bombardements, qui ont subi des fractures graves, des brûlures, des lésions médullaires, des amputations et qui ont accès limité à la rééducation. D’autres présentent des anomalies congénitales ou des maladies cardiovasculaires qui s’aggravent en l’absence de traitement. La famine et le retard des soins aggravent leur état de jour en jour.
Selon les données officielles, environ 900 personnes inscrites sur la liste des évacuations médicales sont décédées avant d’avoir pu être évacuées. Toutefois, le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé.
Accompagner ces personnes pendant leur évacuation vers la Suisse m’a permis de prendre conscience de leur calvaire. Durant cette série d’évacuations, 13 enfants ont été transférés vers la Suisse, accompagnés des membres de leur famille. Ils étaient épuisés, traumatisés et inquiets pour leurs proches restés sur place. Pendant l’une de ces évacuations, j’ai été profondément marqué par ce commentaire d’une des mamans voyageant avec nous. Elle s’exprimait à propos d’une personne qu’elle avait vue voyager avec son chien, à l’aéroport Queen Alia d’Amman : « Vous voyez, même ce chien possède un passeport. Il peut voyager partout, contrairement à nous. » Dites sur le ton de la plaisanterie, ces paroles révèlent le profond sentiment d’injustice et de déshumanisation auquel le peuple palestinien est confronté depuis des années.

Pendant leur séjour à Amman, les personnes évacuées ont reçu trois repas par jour. Cette habitude quotidienne pour nous a été une expérience bouleversante pour ces individus. Cela m’a fait prendre conscience de la gravité de leur malnutrition. Nombre d’entre eux ont contracté une gastro-entérite. Après avoir été longtemps privé de nourriture, leur corps n’était tout simplement plus habitué à ingérer des aliments nutritifs. À Gaza, ces personnes mangeaient à peine un repas par jour.
Les cas urgents subissent les conséquences fatales des retards de traitement
Le processus d’évacuation est complexe et profondément frustrant. Il n’est pas rare que des personnes décèdent en attendant des soins d’urgence. Je me souviens de notre collègue Abed El Hameed, blessé lors d’une attaque israélienne à Gaza. Cette attaque avait également blessé plusieurs autres personnes et tué notre collègue Omar Hayek.
Grièvement blessé, Abed avait besoin d’une intervention chirurgicale d’urgence, ce qui n’était pas possible à Gaza. Nous avons essayé de l’évacuer, mais il est mort en moins de deux jours en attendant l’autorisation. S’il avait eu accès à des soins de santé adéquats, il aurait pu survivre. Je ne peux qu’imaginer combien de personnes comme lui sont décédées en attendant des soins. Selon les données officielles, environ 900 personnes inscrites sur la liste des évacuations médicales sont décédées avant d’avoir pu être évacuées. Toutefois, le nombre réel est probablement beaucoup plus élevé.
Cela me brise encore plus le cœur quand j’entends dire : « Il y a un cessez-le-feu à Gaza. Pourquoi est-ce que ces gens ne peuvent pas être soignés là-bas? La réponse : les gens fuyant Gaza n’ont pas d’autre choix. Ils se battent pour survivre.
Un autre défi réside dans le nombre limité de pays d’accueil. Très peu de pays sont prêts à accueillir des personnes de Gaza, et ceux qui le font imposent souvent des critères stricts qui doivent être respectés. En outre, les pays d’accueil ont tendance à donner la priorité aux enfants, qui ne représentent qu’environ 25 % de l’ensemble des cas. Les adultes et les personnes âgées se voient souvent refuser une évacuation, tandis que les formalités administratives, les contrôles de sécurité et les examens médicaux entraînent des retards supplémentaires.
Chaque jour, nous sommes témoins du coût humain. Voir des gens mourir en attendant leur évacuation est le pire sentiment qui soit. Mais il y a aussi des moments dont je me souviendrai toujours avec un mélange de joie et de tristesse. Lors d’une autre évacuation médicale depuis Amman, nous étions dans une ambulance avec des enfants quand l’un d’eux a soudain poussé un cri d’enthousiasme. Il avait vu un magasin de baklavas à proximité.
Je les ai emmenés à l’intérieur. Alors que les enfants couraient vers la boutique, l’un des garçons a appelé son père en vidéo et lui a montré toutes les friandises. Son père, toujours à Gaza, a regardé les baklavas avec une telle envie que j’aurais aimé pouvoir lui en apporter.
Les enfants étaient ravis. Ils riaient, choisissaient des friandises avec enthousiasme et répétaient sans cesse qu’ils n’en avaient pas mangé depuis deux ans. C’était un rappel à la fois infime et profond de tout ce dont ils avaient été privés. Cela ne représentait pas seulement des friandises, mais aussi les plaisirs simples et enfantins que les enfants de Gaza avaient perdus.

Les personnes évacuées pour raisons médicales luttent pour leur survie
Je suis d’origine palestinienne. Mes parents sont originaires de Gaza et j’ai encore de la famille là-bas. Je n’ai jamais pu leur rendre visite de ma vie. Cela me fait mal de voir mes compatriotes endurer des souffrances inimaginables. Cela me brise encore plus le cœur quand j’entends dire : « Il y a un cessez-le-feu à Gaza. Pourquoi est-ce que ces gens ne peuvent pas être soignés là-bas? La réponse : les gens fuyant Gaza n’ont pas d’autre choix. Ils se battent pour survivre.
Le système de santé à Gaza s’est effondré. Les hôpitaux ont été détruits, les membres du personnel ont été déplacés et les fournitures médicales sont rares. De nombreuses personnes ont besoin de soins qui ne sont tout simplement pas disponibles sur place. Les évacuations médicales sont le seul moyen de protéger des vies jusqu’au rétablissement du système de santé. Malgré le soi-disant cessez-le-feu, les attaques armées continuent de tuer des gens.
J’entends aussi souvent cette question : « Pourquoi videz-vous Gaza de sa population? » Je tiens à souligner que les évacuations médicales n’encouragent pas l’immigration. Les gens conservent le droit de retourner à Gaza à la fin de leur traitement. Nous leur donnons l’assurance, ainsi qu’à leur famille, qu’un retour à Gaza sera possible lorsqu’un suivi médical et l’accès aux médicaments seront disponibles.
Dans mon travail, j’entends chaque jour de nouveaux récits de souffrance, de résilience et d’espoir. En tant que médecin et humanitaire, voir des gens mourir par manque de soins, alors qu’ils attendent une évacuation médicale, est une expérience indicible et déchirante. Cependant, chaque personne secourue, chaque enfant ayant la chance de manger, de jouer et de se rétablir donne tout son sens à notre travail.